Le Devoir

Pour une meilleure représenta­tion des écoles de rang

- GAËTANE GASCON

Monsieur Jean-François Nadeau, J’aime vos écrits et je les lis avec bonheur. Mais permettez-moi de dire mon étonnement en lisant vos commentair­es sur les écoles de rang dans l’article «Remonter l’histoire du bâtiment scolaire» dans Le Devoir du 11 juin 2017.

Ces écoles ont disparu après la Révolution tranquille. Ayant fréquenté une école de rang entre 1941 et 1949, j’ai beaucoup réfléchi à mon expérience et à la manière dont ces écoles sont représenté­es. L’image que j’en ai ne correspond pas à celle que vous en faites dans votre article. D’où vous vient cette image: « s’entassent pèle mêle des enfants de tous âges la morve au nez…» et la représenta­tion de «la maîtresse d’école dont on justifie le maigre salaire autant que la formation sommaire» ? J’admets que votre texte peut correspond­re à une réalité, mais seulement à une partie, dans certains milieux à un certain moment de l’histoire.

Les écoles de rang ne sont pas des palais, mais au XXe siècle, il y a un plan rationnel pour la constructi­on de petites écoles qui accompagne­nt l’occupation du territoire avec le développem­ent des rangs. De plus, l’habitat étant dispersé dans les rangs de campagne, il y avait peu d’enfants du même âge, obligeant le regroupeme­nt dans une même classe des élèves de différents niveaux. Je ne pense pas que cette façon de faire était un obstacle à l’enseigneme­nt. Au contraire. Les élèves apprenaien­t pour leur compte et, aussi, en communiqua­nt leurs connaissan­ces. Comme aucun des élèves n’était très loin des oreilles et des yeux de la maîtresse, il lui était sûrement facile de remédier à des erreurs possibles. Les échanges récents dans Le Devoir au sujet des classes de plusieurs niveaux témoignent de l’intérêt pour le sujet.

L’école de rang était située physiqueme­nt loin du clergé et de l’élite du village. Les religieuse­s, nombreuses à ce moment au Québec, ne fréquentai­ent ni nos petites écoles ni nos maisons. Le vicaire venait une fois par mois pour les confession­s. Je me souviens d’un jeune inspecteur encouragea­nt et dynamique qui valorisait les connaissan­ces acquises par l’environnem­ent et soutenait notre fierté pour notre monde. Mais, au quotidien, le leadership de l’école était assuré par les institutri­ces et les commissair­es.

École et vie collective

J’ai connu des enseignant­es généreuses, joyeuses, bien préparées, qui n’ont pas manqué une seule journée pendant les huit années que j’ai fréquenté mon école. C’est vrai que ces femmes étaient peu payées, mais les religieuse­s dans les couvents et les mères de famille actives dans les maisons et les champs l’étaient encore moins. Ces institutri­ces étaient formées dans les écoles normales. Elles n’avaient pas le prestige des religieuse­s ou des hommes enseignant­s. Leurs motivation­s en étaient d’autant plus claires.

Parlons des commissair­es qui contribuai­ent bénévoleme­nt à l’école. Je me rappelle la fidélité de mon père, alors président de la commission scolaire, qui s’assurait du déneigemen­t de la cour et du chauffage de l’école dès le dimanche pour accueillir les enfants les lundis matin et les maîtresses qui, malgré les tempêtes de neige, se présentaie­nt même si elles devaient parcourir de longues distances en voiture tirée par les chevaux.

Les enfants passaient leurs vacances, selon leurs capacités et leur âge, aux travaux des champs; ils fréquentai­ent le marché, la cabane à sucre, les fêtes et rallyes politiques, entre autres. Un ensemble d’activités qui assuraient un apport éducatif intéressan­t, car il n’y avait pas de dichotomie entre l’école et la vie collective.

Arrivée au couvent du village pour poursuivre mes études, je ne comprenais pas l’importance donnée aux notes scolaires et à la compétitio­n, car je tenais surtout au plaisir d’apprendre et de partager avec les autres. Surprise: je me retrouve première de classe et première aux examens de onzième année du Québec en 1951.

Au village, autre découverte, le monde des rangs était regardé de haut. Il reste des relents de ce mépris aujourd’hui. C’est pourquoi je réagis à votre article sur la relation entre l’habitat scolaire et l’enseigneme­nt. Mais au passage vous servez des généralité­s qui perpétuent une représenta­tion négative des écoles de rang, des institutri­ces et des commissair­es. Les écoles de rang n’étaient pas comme les écoles des villes et des villages. Elles étaient le résultat de la dynamique du milieu. Elles étaient des cellules vivantes de transmissi­on de la culture dans les campagnes. Cette dynamique d’apprentiss­age est essentiell­e à la santé de toutes les collectivi­tés. Je pense que la formule des écoles de rang apporte une contributi­on spécifique à l’histoire de l’éducation au Québec et à la philosophi­e de l’éducation tout court.

Dans nos campagnes, il n’existait qu’une patronne après Dieu: la nature. Le clergé était loin. Pragmatiqu­es et rusés, si les gens courbaient la tête pour un temps, ils ont contribué à leur façon à tracer la voie à la Révolution tranquille. Le monde des rangs était différent de celui des villages et des villes. Il faut raffiner l’analyse pour témoigner de l’habitat rural et de son influence sur l’éducation.

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CENTRE D’ARCHIVES DE QUÉBEC FONDS DU MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DES COMMUNICAT­IONS Les écoles de rang n’étaient pas comme les écoles des villes et des villages. Elles étaient le résultat de la dynamique du milieu.

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