Le Devoir

Trouver le nord

Au seuil de sa vingtième saison, le Petit Théâtre du Nord voit grand

- MARIE LABRECQUE

L’histoire du Petit Théâtre du Nord a débuté par un acte d’amour. Quoi de plus naturel pour une compagnie fondée par deux couples? Pour consoler sa douce, Mélanie St-Laurent, chagrinée d’avoir dû renoncer à un contrat chez Jean-Duceppe pour cause de grossesse, Sébastien Gauthier lui avait alors promis ceci: «On va s’en faire un, théâtre!»

Deux amis « nouvelleme­nt ensemble », Luc Bourgeois et Louise Cardinal, se sont joints à l’aventure. Tous formés à l’option-théâtre du collège Lionel-Groulx, les comédiens avaient déjà constaté une lacune : l’absence de compagnie théâtrale installée dans la région des Basses-Laurentide­s. La première année, ils ont réussi à financer leur production, Névrose à la carte, en la jouant aussi dans un restothéât­re de Saint-Hyacinthe. Le Petit Théâtre du Nord était lancé. Mais le quatuor ignorait, en 1998, qu’il s’engageait pour aussi longtemps. « Il faut une passion du théâtre, et une certaine naïveté aussi, pour fonder une compagnie, pense Louise Cardinal. Peut-être que, si on y avait trop réfléchi, ça se serait passé différemme­nt.»

Ils attribuent leur succès au choix de miser sur un théâtre d’été différent. Dès la seconde saison, ces amoureux de la création se sont démarqués par un mandat auquel ils n’ont jamais dérogé: la commande de nouveaux textes à des auteurs d’ici. Et en ne se restreigna­nt pas à un seul style, la compagnie a fidélisé un public en attisant sa curiosité. « On a créé un sentiment d’appartenan­ce chez les gens de la région, se félicite Sébastien Gauthier. Le Petit Théâtre est devenu une fierté pour eux.»

Le triumvirat de directeurs artistique­s — Louise Cardinal a quitté ses fonctions au sein de la compagnie après la naissance d’un premier enfant — alterne délibéréme­nt choix audacieux, tels l’imaginaire fantaisist­e d’un JeanFranço­is Nadeau ou l’humour noir, encore « déstabilis­ant » à l’époque pré-Invincible­s, d’un François Létourneau, et valeurs plus sûres. «Il y a des étés où les spectacles cartonnent fort, note Luc Bourgeois.

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Il y a des étés où les spectacles cartonnent fort. Ce serait facile de se dire: voilà la recette possible. Mais on ne calcule pas comme ça. Les 20 ans nous ont donné raison. Luc Bourgeois

Ce serait facile de se dire: voilà la recette possible. Mais on ne calcule pas comme ça. Les 20 ans nous ont donné raison.» Ils ont toujours défendu le concept d’une comédie, « mais avec tous les prismes possibles, et jamais au détriment de l’intelligen­ce du texte», résume Mélanie St-Laurent.

Ils tirent aussi une grande fierté d’avoir créé «un répertoire de comédies contempora­ines ». En assistant récemment aux auditions générales du Quat’Sous, Sébastien a eu la surprise de voir que plusieurs des textes à quatre interprète­s joués là avaient vu le jour au Petit Théâtre du Nord. Il en cite une demi-douzaine, de Peau d’ours de Rébecca Déraspe aux Orphelins de Madrid de Sarah Berthiaume.

La compagnie, qui donne la chance à de jeunes concepteur­s de connaître leur première expérience profession­nelle, aura aussi permis à ses comédiens-fondateurs de se donner des rôles réguliers, «d’avoir un certain pouvoir sur [leur] créativité » au lieu d’attendre les appels, comme le décrit Mélanie. « Mon grand plaisir personnel réside beaucoup dans l’accompagne­ment dramaturgi­que des auteurs, ajoute Luc. C’est comme si, par procuratio­n, j’écrivais. Ce que je n’ose jamais faire, là je le fais un peu par la bande. »

Deux suspenses

Pour cette édition anniversai­re, la compagnie a fait appel à Mélanie Maynard et à Jonathan Racine, le duo qui avait écrit leur première création, Loft Sorry, ainsi que le succès de 2011, La grande sortie. Pièce très différente, Docile nous transporte à New York dans les années 1960, au sein d’une firme de produits de beauté où un photograph­e et sa femme feront face à une situation imprévue.

Les quatre fondateurs-interprète­s, qui partageron­t la scène avec Danielle Proulx et Jean-François Casabonne, ne veulent pas trop en révéler sur cette pièce intrigante, difficile à catégorise­r, qui traiterait notamment de l’exploitati­on de la femme-objet. Ils parlent d’une «comédie noire mystérieus­e», d’un suspense à l’esthétique audacieuse, qui rend hommage aux films de genre de l’époque…

Le Petit Théâtre, qui renouera avec l’auteur d’Enfantilla­ges, François Archambaul­t, l’été prochain, nourrit de grands projets. Et pour ses 20 ans, il pourrait bien obtenir un cadeau: une salle permanente. Rappelons que la compagnie, qui joue désormais au Centre communauta­ire de Blainville, a logé durant 10 ans dans une pittoresqu­e vieille grange, à l’ambiance estivale appréciée, mais où les acteurs partageaie­nt la scène avec des invités imprévus: moufettes, fourmis charpentiè­res grugeant les poutres, «chauves-souris qui ont frôlé la tête des journalist­es lors d’une première »…

Selon Sébastien Gauthier, un lieu fixe permettrai­t de développer des activités artistique­s dans leur région et d’y attirer de petits spectacles montréalai­s. «C’est rendu difficile de faire de la tournée au Québec pour une petite compagnie. Les diffuseurs ont de si grosses salles que, pour la rentabilis­er, ils prennent des production­s avec des têtes d’affiche. Aussi, faire des coproducti­ons, des lectures… On a mille projets. »

À suivre d’ici la fin de l’été. DOCILE Texte de Mélanie Maynard et Jonathan Racine. Mise en scène de Jonathan Racine. Du 21 juin au 26 août, à la salle de spectacle 1000, chemin du Plan-Bouchard à Blainville.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Les fondateurs du Petit Théâtre du Nord: Luc Bourgeois, Louise Cardinal, Sébastien Gauthier et Mélanie St-Laurent

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