Le Devoir

Chrystine Brouillet sur son amitié avec Maud Graham

Dans un nouveau roman, Chrystine Brouillet célèbre trente ans d’amitié avec l’attachante enquêteuse

- MANON DUMAIS

Elle cuisine mieux qu’il y a 30 ans. Elle est toujours avec le même amoureux. Elle est toujours aussi stressée et imagine encore le pire des scénarios. Comme si cela ne suffisait pas, voilà que les chaleurs de la ménopause l’assaillent jour et nuit. Qui ça? La romancière Chrystine Brouillet? Bien non voyons, l’enquêteuse Maud Graham !

«La ménopause n’est pas un sujet marrant, reconnaît d’emblée Chrystine Brouillet. En même temps, je ne pouvais pas l’éviter parce que Maud Graham vieillit. Déjà que dans mes romans, il y a des meurtres à Québec alors que ce n’est pas une ville dangereuse. Il faut rester crédible et vraisembla­ble, donc elle ne peut pas avoir 40 ans tout le temps, il faut que je la fasse vieillir puisque son fils adoptif, Maxime, entre à Nicolet.»

Ainsi donc, la romancière prépare la relève à travers le personnage de Maxime. Cela dit, pas question pour Maud de vaquer à des fonctions administra­tives. La paperasse, très peu pour cette femme de terrain. Pas plus que la retraite, d’ailleurs.

«C’est certain qu’elle ne prendra pas sa retraite tout de suite, mais là encore, il fallait que je colle un peu à la réalité, que ce soit plausible. C’est normal qu’à un moment donné, elle va passer le flambeau. Je n’avais juste pas envie de quitter l’univers de Maud Graham. Ça fait trente ans que je suis avec elle, je n’ai donc pas envie de la mettre au placard.»

Les lecteurs de la populaire série de romans policiers n’ont donc pas à s’inquiéter, Chrystine Brouillet ne réserve pas un sort funeste à Maud Graham et ne sera jamais contrainte de la ressuscite­r comme ce fut le cas pour Arthur Conan Doyle après s’être débarrassé de Sherlock Holmes dans Le chien des Baskervill­e.

«Jamais je ne ferai cette erreur! Maud m’a fait gagner ma vie, alors je serais bien ingrate de la tuer. Maud va mourir avec moi. Le rapport que j’ai avec elle, c’est le même rapport que j’ai avec mes amis. »

Chrystine Brouillet dévoile alors qu’elle fait vieillir Maud Graham afin qu’elle soit en phase avec Maude Guérin, qui l’a incarnée dans Le collection­neur de Jean Beaudin en 2002, au cas où l’enquêteuse revienne au petit ou au grand écran… Nous n’en saurons malheureus­ement pas plus à ce propos.

«Il

y a trente ans, je n’aurais pas pu faire un roman comme celui-là, mais maintenant que je connais Maud [Graham] par coeur, son univers, ses collègues, que tout s’est placé dans sa vie privée, je peux créer des intrigues plus complexes. Chrystine Brouillet

Le temps de la relève

À l’écouter parler de Maud, qui n’est pas son alter ego tient-elle à le rappeler, et de Maxime, on croirait que Chrystine Brouillet parle d’une véritable amie et de l’enfant qu’elle aurait pris sous son aile: «J’aime l’idée que Maxime prenne la relève. C’est un personnage qu’on a vu grandir, qui est arrivé dans la vie de Maud quand il avait neuf ou dix ans; le coup de foudre a été mutuel. Leur relation est belle et elle nous permettra de voir Maud dans ce qu’elle est, c’est-à-dire très fière de son fils, mais aussi très inquiète. C’est dans sa nature d’être angoissée, mais ça ne l’empêche pas de fonctionne­r. »

Fait nouveau dans la vie de Maud Graham: elle a enfin appris à déléguer. « Il était temps que ça arrive! Elle ne peut pas être partout, tout le temps. Elle a confiance en Tifanny McEwen et je crois que Maud aurait aimé vivre ça au début de sa carrière. En même temps, elle a été très chanceuse parce que l’un de ses premiers partenaire­s a été Rouaix, avec qui elle s’est toujours bien entendue. Ce n’est pas vrai que j’allais tomber dans le cliché voulant que tous les hommes soient machos, parce que les policiers que j’ai rencontrés ne l’étaient pas. »

«Quand j’ai créé Maud Graham il y a trente ans, il y avait moins de femmes policières. Je l’ai dit et je le répète, Maud Graham est une femme ordinaire qui fait un métier hors de l’ordinaire. J’en avais assez des noirs méchants, des rousses pulpeuses et des blondes vaporeuses : c’était toujours la même formule dans les romans policiers. Ce n’est pas ça la réalité. Toutes les policières que j’ai rencontrée­s sont des femmes formidable­s, mais ordinaires. »

Chers voisins

À l’origine d’À qui la faute?, où Maud Graham mène sa dix-septième enquête, il y a cette scène disgracieu­se à laquelle Chrystine Brouillet a assisté, celle de parents s’engueulant dans les estrades alors que leurs enfants, âgés de six ou sept ans, jouaient au hockey.

«Il y a trente ans, je n’aurais pas pu faire un roman comme celui-là, mais maintenant que je connais Maud par coeur, son univers, ses collègues, que tout s’est placé dans sa vie privée, je peux créer des intrigues plus complexes. »

La romancière pénètre dans l’intimité de couples dont les enfants, des ados actifs sur les réseaux sociaux, font du sport ensemble. Lorsqu’un jeune garçon se retrouve dans le coma après avoir reçu une rondelle de hockey au visage, exit la bonne entente entre voisins. D’autant plus que certains d’entre eux cachent de sombres secrets. Au même moment, un jeune violeur rôde dans Limoilou.

«Comme auteure, je trouve que les adolescent­s sont une mine d’or; ils sont imprévisib­les, alors ils peuvent tout faire. Il y en a autour de moi, et je vois que ce n’est pas facile. Avec les réseaux sociaux, une autre forme d’intimidati­on a pris place et cela peut empoisonne­r leur existence, les mener jusqu’au suicide. Les adolescent­s ne pensent pas aux conséquenc­es de leurs gestes, ils sont dans l’ici, maintenant.»

Outre de faire de Maud une fille d’à côté à qui plusieurs peuvent s’identifier, Chrystine Brouillet livre d’un roman à l’autre une radiograph­ie de la société. «Maud est aux crimes contre la personne, je ne la verrais pas aux crimes économique­s. Ce qui m’intéresse, c’est l’intimité, d’aller dans la psyché des personnage­s pour comprendre ce qui les a poussés à commettre ces actes-là. Après trente ans, je suis contente d’être encore là et de voir que Maud plaît encore, mais le constat est découragea­nt dans la mesure où j’ai déjà parlé de violence conjugale et je vais en reparler, qu’il y aura toujours des personnage­s assassinés. C’est dommage que la société n’ait pas plus évolué que ça.»

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR La romancière pénètre dans l’intimité de couples dont les enfants, des ados actifs sur les réseaux sociaux, font du sport ensemble.
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