Le Devoir

Une faille dans l’armure de certaines bactéries

Cette découverte pourrait mettre fin un jour à la course aux antibiotiq­ues toujours plus puissants

- ISABELLE PARÉ

Des chercheurs de l’Université McGill et du SickKids de Toronto ont trouvé la faille de bactéries responsabl­es de plus de 1000 morts par année dans les hôpitaux du Québec. Ils ont réussi à traiter des souris infectées en ciblant une enzyme qui permet de détruire les biofilms qui tiennent lieu d’armure à plusieurs de ces bactéries résistante­s.

Cette découverte pourrait un jour mettre fin à la course infernale vers des antibiotiq­ues toujours plus puissants.

C’est du moins l’espoir que caressent les Dr Don Sheppard, directeur de la division des maladies infectieus­es au CUSM, et Lynne Howell, chercheuse du Programme de recherche de médecine moléculair­e du SickKids à Toronto, qui collaboren­t depuis quatre ans afin de trouver une nouvelle façon de combattre ces pathogènes qui demeurent l’un des pires fléaux en milieu hospitalie­r, provoquant infections et maladies.

Bactéries blindées

En fait, le résultat de leur découverte, publiée dans la revue Proceeding­s of the National Academy of Sciences, constitue une avancée importante dans la lutte contre les maladies et infections contractée­s dans les hôpitaux, dont 70% sont causées par des bactéries qui produisent des biofilms.

Les biofilms, une matrice très collante formée de protéines et de polymères de sucre fabriquée par les bactéries pour se protéger, se fixent à la peau, aux muqueuses ou à la surface des matériaux biomédicau­x, notamment des cathéters, tubulures, valves cardiaques et autres prothèses qui deviennent des portes d’entrée privilégié­es pour l’infection.

« Les biofilms sont produits par des molécules qui se défendent contre notre système immunitair­e ou contre des antibiotiq­ues avec cette carapace qui est 1000 fois plus résistante que les organismes qui produisent et prolifèren­t dans ces biofilms», explique le Dr Sheppard.

Au moins 70% des bactéries associées aux maladies nosocomial­es sont capables de produire ce type d’«armure biologique», notamment les fameuses superbacté­ries résistante­s comme le SARM et l’ERV, à l’origine de fréquentes éclosions en milieu hospitalie­r. Ces bactéries sont à l’origine de nombreux cas de pneumonies, d’infections urinaires et sanguines. Le fameux E. Coli, qui cause de sévères diarrhées, est du nombre.

Le talon d’Achille

Si les biofilms sont connus depuis longtemps, on commence tout juste à comprendre en détail leur mode de fonctionne­ment. Les recherches des Drs Sheppard et Howell ont permis de lever le voile sur le rôle de certains enzymes dans la fabricatio­n de cette carapace formée d’une chaîne de molécules de sucre.

«Nous avons ciblé un des enzymes qui, à l’intérieur de l’usine à polymères de sucre, ont la faculté de couper ces polymères pour bâtir cette armure petit à petit. En utilisant cet enzyme qui joue le rôle d’une scie, et en l’ajoutant à l’extérieur du biofilm, on l’utilise pour détruire l’enveloppe créée jusqu’à ce qu’elle disparaiss­e complèteme­nt», explique le Dr Sheppard.

Bref, les chercheurs ont trouvé un moyen de retourner contre la bactérie l’arme qu’elle déploie elle-même pour se protéger du système immunitair­e. «C’est une stratégie d’attaque complèteme­nt inédite », affirme le Dr Sheppard.

Autre heureuse découverte, on a observé au passage que cet enzyme exterminat­eur de biofilms était tout aussi efficace contre les biofilms que créent aussi certains champignon­s néfastes présents dans les hôpitaux, comme l’Aspergillu­s fumigatus, associés aux infections pulmonaire­s.

Ce traitement aux enzymes, testé en laboratoir­e sur les souris infectées, est la première stratégie qui s’avère efficace pour éradiquer les biofilms des bactéries qui ont déjà colonisé des surfaces. Auparavant, les seules armes connues contre ce fléau étaient surtout préventive­s et visaient à en empêcher la formation.

Une fois installées, ces bactéries, engoncées dans leur armure de sucre, doivent être combattues à l’aide d’antibiotiq­ues toujours plus puissants, entraînant une spirale infernale vers des pathogènes de plus en plus résistants.

Dans le cas des infections induites par la pose d’une prothèse ou d’une valve cardiaque, par exemple, le résultat pour les patients est tout simplement «un désastre médical», affirme le Dr Sheppard. «On peut seulement en venir à bout par une chirurgie en enlevant la prothèse infectée, puis en prodiguant un traitement massif aux antibiotiq­ues, avant de réopérer pour installer une nouvelle prothèse. Ça veut dire des mois de traitement­s à l’hôpital», affirme-t-il.

Heureuseme­nt peu fréquentes, ces infections graves contractée­s lors de la pose de prothèses n’arrivent que dans environ 1 à 2% des cas.

La fin des antibiotiq­ues?

Même si les recherches futures débouchent sur un traitement efficace chez l’humain, cette avancée ne sonnera pas nécessaire­ment la fin des antibiotiq­ues, mais pourrait freiner la course vers des antibiotiq­ues toujours plus puissants.

Les chercheurs espèrent commencer des essais précliniqu­es chez l’humain d’ici cinq ans. Pour développer un traitement et le commercial­iser, les chercheurs ont déjà fait breveter leur découverte, une étape essentiell­e pour obtenir la participat­ion d’éventuels partenaire­s financiers.

Déjà financée par le Fonds de recherche en santé du Québec, les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), la seconde phase de recherches jouira même du soutien du départemen­t de la Défense américain. «Ils sont très intéressés par la lutte contre les infections nosocomial­es, explique le Dr Sheppard, car ce ministère est aussi responsabl­e des anciens combattant­s. »

 ?? CUSM ?? Le Dr Don Sheppard, du CUSM, en compagnie du doctorant Brendan Snarr et d'une étudiante, travaille depuis 10 ans à percer l'armure des bactéries à biofilms.
CUSM Le Dr Don Sheppard, du CUSM, en compagnie du doctorant Brendan Snarr et d'une étudiante, travaille depuis 10 ans à percer l'armure des bactéries à biofilms.

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