Le Devoir

Question de dosage

- MANON CORNELLIER

Assurer la sécurité nationale tout en respectant les libertés individuel­les est un défi pour tous les gouverneme­nts. Les libéraux avaient promis de rétablir l’équilibre et, à première vue, leur projet de loi sur la sécurité nationale est une nette améliorati­on par rapport au cadre laissé par les conservate­urs. Le projet est toutefois très complexe et exigera un examen attentif pour s’assurer qu’il soit à la hauteur des prétention­s libérales.

Le gouverneme­nt en a mis, du temps, pour accoucher du projet de loi C-59 présenté mardi, mais il serait mal venu de le lui reprocher. Dans ce cas-ci, il a réellement fait ses devoirs, ne ménageant aucun détour pour consulter parlementa­ires, experts et citoyens. L’expérience du ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, a ajouté au sérieux de l’exercice. C-59 renforce nettement la surveillan­ce des activités de renseignem­ent et de collecte de données, ce qu’avaient négligé les conservate­urs. En revanche, certaines dispositio­ns les plus contestées, celles augmentant les pouvoirs du Service canadien du renseignem­ent de sécurité (SCRS) et de la GRC et portant atteinte à certains droits fondamenta­ux, restent en place, bien qu’assorties de balises plus strictes.

On avait blâmé les conservate­urs pour ne pas avoir démontré la nécessité de ces pouvoirs et atteintes. On n’en a pas davantage la preuve aujourd’hui. De toute évidence, le gouverneme­nt a jugé que, dans le contexte actuel, où les attentats se multiplien­t à l’étranger, il vaut mieux les conser ver.

Le SCRS pourra encore contrer une menace en posant des gestes illégaux s’il persuade un juge que la menace le justifie. La liste des gestes formelleme­nt interdits est toutefois allongée. Pas question de torture ou de détention secrète, par exemple. Les institutio­ns fédérales pourront toujours échanger les données personnell­es de citoyens, mais en vertu d’une définition de la menace à la sécurité qui ne pourra plus viser la désobéissa­nce civile non violente pour défendre un point de vue légitime. La GRC pourra encore avoir recours à la détention préventive, mais le test pour la justifier sera plus strict.

Les nouvelles exigences sont des améliorati­ons, mais qu’estce qui, au-delà du climat d’insécurité ambiant, justifie de maintenir ces mesures? Le gouverneme­nt doit le dire, même s’il a eu le mérite d’élever de plusieurs crans le niveau de surveillan­ce de ces activités.

À ce chapitre, les progrès sont indéniable­s. Il faut même applaudir à la décision du gouverneme­nt de finalement répondre à une des recommanda­tions centrales du juge Dennis O’Connor à la suite de son enquête sur l’affaire Arar. Dans son rapport déposé il y a presque 11 ans, il demandait que toutes les activités en matière de sécurité nationale, peu importe le ministère ou l’agence qui les mène, soient soumises à un examen et que ce dernier puisse chevaucher les frontières entre ces ministères et agences.

Le gouverneme­nt ne s’est pas contenté de créer des ponts entre les organismes d’examen du Service canadien de renseignem­ent de sécurité (SCRS), de la GRC et du Centre de la sécurité des télécommun­ications. Il a réuni toutes ces fonctions sous un seul chapeau et donné au nouvel office de surveillan­ce, non seulement plus de moyens, mais le mandat de mettre son nez partout. Ce sera après coup, mais un nouveau commissair­e au renseignem­ent assurera une surveillan­ce en aval. Son accord sera nécessaire pour que certaines opérations et l’utilisatio­n d’ensembles de données aillent de l’avant. Ces deux chiens de garde s’ajouteront au Comité de parlementa­ires sur la sécurité nationale qui verra le jour incessamme­nt.

Les pouvoirs de l’Office et du commissair­e seront étendus et limiteront ceux des ministres et hauts gradés, mais on note ici et là des exceptions dont on mesure mal l’impact pour l’instant. D’où la nécessité d’une étude sérieuse, approfondi­e et non partisane du projet de loi, non seulement par le Comité de la sécurité publique et nationale, mais aussi par celui de la justice et des droits de la personne et celui de l’accès à l’informatio­n et la protection des renseignem­ents personnels.

Cette réforme importante est nécessaire, mais le gouverneme­nt doit expliquer les raisons, au-delà du climat général d’insécurité, du maintien des pouvoirs de perturbati­on et des atteintes aux droits. Et il doit rester ouvert aux amendement­s constructi­fs, car ce sont souvent dans les détails d’un projet de loi que se cachent les pièges inattendus.

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