Le Devoir

Pardonne-moi, j’te voulais pas…

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Je dois te l’avouer, quand l’année a commencé et que j’ai vu ton nom sur ma liste, j’ai paniqué. J’te voulais juste pas…

Je ne te connaissai­s pas, mais je t’avais vue plusieurs fois au local de suspension et on disait que t’avais vraiment un sale caractère… J’ai honte, mais à mes yeux t’étais juste un obstacle. Celle qui allait scraper mon groupe.

Au premier cours de l’année, tu ne t’es pas présentée. J’ai honte, mais j’étais soulagée… Au deuxième, t’es arrivée en retard, mais t’étais là… C’était confirmé, il faudrait qu’on fasse l’année…

J’ai pris un grand respire… Je n’avais pas le choix, il fallait que j’ouvre mon coeur de Calinours!

J’ai écrit à une intervenan­te qui s’était occupée de toi… Elle m’a dit qu’elle n’était pas inquiète, que tu aimerais mon humour et qu’on s’entendrait bien…

Alors notre histoire a commencé comme ça, je suis allée te voir et je t’ai fait une blague… Tu m’as souri…

J’ai longtemps creusé pour connaître ton histoire. Tu ne voulais pas raconter, tu ne voulais pas qu’on sache…

Avec le temps, j’ai trouvé plusieurs morceaux de ton histoire sans arriver à les assembler… Puis, j’ai rencontré ta mère… J’ai compris… Il était inutile d’en savoir plus… T’étais juste complèteme­nt seule dans la vie…

Dans cette vie où tu es l’adulte dans un corps de 16 ans, où les expérience­s d’une adolescent­e s’entremêlen­t avec les responsabi­lités d’un adulte, où à 16 ans tu en as déjà trop vu, l’école ne pouvait pas être ta priorité…

Tu étais si souvent absente… Je savais qu’il était inutile de te sermonner quand tu arrivais en retard… Je préférais te dire que j’étais contente que tu sois là et que tu avais fait le bon choix…

Un jour, t’es venue me voir pour une question de maths, mais c’était difficile pour toi de comprendre. Trop difficile… C’est là que tu m’as dit : « Je suis écoeurée. J’ai 16 ans, je vais tout lâcher…» Là, mon coeur a voulu fendre… On est sorties de la classe et je t’ai demandé de bien m’écouter, toi, LA tête forte… Je t’ai dit que j’aimais mieux des silences que des mensonges aux questions que j’allais te poser. Finalement, tu as gardé le silence, mais t’as pleuré… Je t’ai pris dans mes bras, toi, LA tête forte… J’ai voulu te le cacher, mais tu m’as vue… Moi aussi, je pleurais… J’ai essayé de te raccrocher, de me raccrocher…

Les jours, les mois ont passé et t’es toujours là, dans MA classe…

Je dois te l’avouer, finalement… j’te voulais tellement dans ma classe…

Je t’aime, ma belle… Nathalie Routhier, enseignant­e Québec, le 20 juin 2017

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