La culture de la réussite éducative
La nouvelle Politique de la réussite éducative du ministère de l’Éducation est fort prometteuse. Toutefois, afin que cette politique produise son plein effet en faveur de tous les élèves québécois, dont ceux issus de l’immigration et de milieux défavorisés, une plus grande sensibilisation de la population québécoise au regard des enjeux qui touchent ces élèves est nécessaire.
Le ministre Sébastien Proulx a exercé le leadership nécessaire pour nous doter d’une politique proposant une vision inspirante de la réussite éducative : « Des milieux éducatifs inclusifs, centrés sur la réussite de toutes et de tous, soutenus par leur communauté, qui, ensemble, forment des citoyennes et des citoyens compétents, créatifs, responsables, ouverts à la diversité et pleinement engagés dans la vie sociale, culturelle et économique du Québec.»
Le gouvernement n’agit toutefois pas seul. Sur ce point, la politique est claire: elle « s’appuie sur la mobilisation de l’ensemble des acteurs de la société comme ingrédient essentiel à la réussite éducative de tous les enfants ».
D’ailleurs, les changements sociaux les plus puissants ne résultent pas d’une action posée par une seule entité, mais sont profondément enracinés dans les valeurs de toute une société. Sur ce point, la Fondation de la famille J.W. McConnell, leader en innovation sociale, énonce que la culture joue un rôle puissant sur la transformation des problèmes ou des secteurs, et que le changement doit être profondément enraciné dans les gens, les relations, les communautés et les cultures.
Dans la foulée de la Politique de la réussite éducative, la population québécoise est-elle prête à emboîter le pas en matière de réussite éducative pour tous ? À certains égards, on peut en douter.
S’il faut applaudir à la volonté du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport de réduire de moitié, d’ici 2030, les écarts de réussite entre les élèves issus de milieux défavorisés et les élèves des autres milieux, il y a lieu de se demander si l’opinion publique est réellement en faveur d’une telle proposition de manière à soutenir cet objectif.
Selon un sondage de la Fondation Lucie et André Chagnon datant d’octobre 2013, une forte majorité de la population québécoise se dit préoccupée par le décrochage scolaire des jeunes au secondaire. Mais seulement 47% des Québécois prioriseraient les secteurs défavorisés s’il fallait investir des ressources supplémentaires dans la persévérance et la réussite scolaires des enfants, comparativement à 53% qui distribueraient ces ressources de façon uniforme au Québec.
Ces données indiquent que, de manière générale, les Québécois ne comprennent pas ou ne se soucient pas des tenants et aboutissants de la défavorisation comme obstacle à la réussite éducative. Or, selon la politique, parmi les élèves qui ont commencé l’école secondaire en milieu défavorisé, le taux de diplomation et de qualification avant l’âge de 20 ans est de 69 %, ce qui correspond à une différence de 8,9% entre ces élèves et les élèves des autres milieux, dont le taux est de 77,9%. Une population qui ne reconnaît pas cet enjeu ne saurait affronter ef ficacement les défis qui en découlent.
Dans le même ordre d’idées, il est temps que nous entretenions des conversations plus informées au sujet des liens entre l’immigration et la réussite éducative. Alors qu’aux États-Unis il est couramment fait état des écarts de réussite — «achievement gap» ou «opportunity gap» — entre les élèves issus des communautés noires ou latino-américaines et les autres élèves, le mouvement en faveur de la réussite éducative a toujours été plus silencieux au Québec, traitant de façon plus uniforme les cibles en matière de diplomation.
Contrairement à la croyance populaire, l’immigration ne s’inscrit pas en bloc monolithique comme obstacle à la réussite éducative. Selon les études en la matière, les élèves d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient, d’Asie de l’Est, d’Asie du Sud-Est et de l’Europe de l’Est réussissent mieux que l’ensemble des élèves. Les problèmes de réussite se manifestent plutôt chez les élèves d’Amérique centrale et du Sud, des Antilles, d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud. Nommer les distinctions pertinentes et leurs causes ne stigmatise pas les populations visées, mais met plutôt en lumière que certains facteurs, dont la défavorisation, justement, constituent des obstacles à leur réussite.
Il serait délicat d’avancer qu’une solution unique sensibiliserait efficacement l’ensemble des Québécois au regard des tenants et aboutissants de la réussite éducative. Reconnaissons, du moins, qu’une population mieux informée des enjeux d’éducation dans une perspective d’égalité des chances est plus susceptible de favoriser une meilleure éducation pour tous.