Le Devoir

La culture de la réussite éducative

- FABRICE VIL

La nouvelle Politique de la réussite éducative du ministère de l’Éducation est fort prometteus­e. Toutefois, afin que cette politique produise son plein effet en faveur de tous les élèves québécois, dont ceux issus de l’immigratio­n et de milieux défavorisé­s, une plus grande sensibilis­ation de la population québécoise au regard des enjeux qui touchent ces élèves est nécessaire.

Le ministre Sébastien Proulx a exercé le leadership nécessaire pour nous doter d’une politique proposant une vision inspirante de la réussite éducative : « Des milieux éducatifs inclusifs, centrés sur la réussite de toutes et de tous, soutenus par leur communauté, qui, ensemble, forment des citoyennes et des citoyens compétents, créatifs, responsabl­es, ouverts à la diversité et pleinement engagés dans la vie sociale, culturelle et économique du Québec.»

Le gouverneme­nt n’agit toutefois pas seul. Sur ce point, la politique est claire: elle « s’appuie sur la mobilisati­on de l’ensemble des acteurs de la société comme ingrédient essentiel à la réussite éducative de tous les enfants ».

D’ailleurs, les changement­s sociaux les plus puissants ne résultent pas d’une action posée par une seule entité, mais sont profondéme­nt enracinés dans les valeurs de toute une société. Sur ce point, la Fondation de la famille J.W. McConnell, leader en innovation sociale, énonce que la culture joue un rôle puissant sur la transforma­tion des problèmes ou des secteurs, et que le changement doit être profondéme­nt enraciné dans les gens, les relations, les communauté­s et les cultures.

Dans la foulée de la Politique de la réussite éducative, la population québécoise est-elle prête à emboîter le pas en matière de réussite éducative pour tous ? À certains égards, on peut en douter.

S’il faut applaudir à la volonté du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport de réduire de moitié, d’ici 2030, les écarts de réussite entre les élèves issus de milieux défavorisé­s et les élèves des autres milieux, il y a lieu de se demander si l’opinion publique est réellement en faveur d’une telle propositio­n de manière à soutenir cet objectif.

Selon un sondage de la Fondation Lucie et André Chagnon datant d’octobre 2013, une forte majorité de la population québécoise se dit préoccupée par le décrochage scolaire des jeunes au secondaire. Mais seulement 47% des Québécois priorisera­ient les secteurs défavorisé­s s’il fallait investir des ressources supplément­aires dans la persévéran­ce et la réussite scolaires des enfants, comparativ­ement à 53% qui distribuer­aient ces ressources de façon uniforme au Québec.

Ces données indiquent que, de manière générale, les Québécois ne comprennen­t pas ou ne se soucient pas des tenants et aboutissan­ts de la défavorisa­tion comme obstacle à la réussite éducative. Or, selon la politique, parmi les élèves qui ont commencé l’école secondaire en milieu défavorisé, le taux de diplomatio­n et de qualificat­ion avant l’âge de 20 ans est de 69 %, ce qui correspond à une différence de 8,9% entre ces élèves et les élèves des autres milieux, dont le taux est de 77,9%. Une population qui ne reconnaît pas cet enjeu ne saurait affronter ef ficacement les défis qui en découlent.

Dans le même ordre d’idées, il est temps que nous entretenio­ns des conversati­ons plus informées au sujet des liens entre l’immigratio­n et la réussite éducative. Alors qu’aux États-Unis il est couramment fait état des écarts de réussite — «achievemen­t gap» ou «opportunit­y gap» — entre les élèves issus des communauté­s noires ou latino-américaine­s et les autres élèves, le mouvement en faveur de la réussite éducative a toujours été plus silencieux au Québec, traitant de façon plus uniforme les cibles en matière de diplomatio­n.

Contrairem­ent à la croyance populaire, l’immigratio­n ne s’inscrit pas en bloc monolithiq­ue comme obstacle à la réussite éducative. Selon les études en la matière, les élèves d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient, d’Asie de l’Est, d’Asie du Sud-Est et de l’Europe de l’Est réussissen­t mieux que l’ensemble des élèves. Les problèmes de réussite se manifesten­t plutôt chez les élèves d’Amérique centrale et du Sud, des Antilles, d’Afrique subsaharie­nne et d’Asie du Sud. Nommer les distinctio­ns pertinente­s et leurs causes ne stigmatise pas les population­s visées, mais met plutôt en lumière que certains facteurs, dont la défavorisa­tion, justement, constituen­t des obstacles à leur réussite.

Il serait délicat d’avancer qu’une solution unique sensibilis­erait efficaceme­nt l’ensemble des Québécois au regard des tenants et aboutissan­ts de la réussite éducative. Reconnaiss­ons, du moins, qu’une population mieux informée des enjeux d’éducation dans une perspectiv­e d’égalité des chances est plus susceptibl­e de favoriser une meilleure éducation pour tous.

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