Interrogations autour de la Banque de l’infrastructure
Il y a quelques jours, le sénateur André Pratte a plaidé pour que les dispositions visant la création de la Banque de l’infrastructure du Canada soient retirées du projet de loi C-44, et ce, afin d’en permettre un examen plus attentif. Cette requête a été rejetée par le premier ministre Trudeau au motif que l’adoption du budget est le privilège exclusif de la Chambre des communes.
Selon le projet de loi, la Banque aurait pour mission d’investir et de susciter des investissements de fonds institutionnels dans des projets d’infrastructures dont elle pourrait assurer la maîtrise d’oeuvre. Le gouvernement fédéral pourrait y injecter des fonds pouvant atteindre 35 milliards. Cette dotation pourrait être considérablement augmentée par l’apport des fonds provenant de caisses de retraite et d’autres investisseurs à long terme.
Les provinces et les municipalités pourraient être tentées de s’en remettre à ce nouvel avatar des partenariats public-privé en qui elles verront la possibilité de réaliser leurs programmes d’infrastructures sans devoir ajouter à leurs dettes. Mais ce faisant, elles devront vraisemblablement céder à la Banque un certain contrôle sur la sélection, la planification et la gestion de leurs projets. Le gouvernement fédéral se doterait ainsi d’un instrument pour influencer le développement des infrastructures dans le sens qu’il estimerait conforme à l’intérêt du Canada, quitte à contrecarrer à l’occasion ce que souhaitent les provinces et les municipalités.
Un autre piège
Le recours aux fonds de la Banque et de ses partenaires institutionnels comporterait un autre piège. Logiquement, ceux-ci rechercheront des rendements supérieurs à ceux qu’offrent les obligations gouvernementales. L’exemple du Réseau électrique métropolitain (REM) de Montréal est révélateur à cet égard. La Caisse de dépôt et placement du Québec y touchera un rendement de 8% grâce à la tarification des services et à une contribution financière du gouvernement du Québec. En comparaison, le taux de rendement sur les titres du gouvernement du Québec à échéance de 10 ans se situe actuellement à environ 2,6%. Le financement de la dette fédérale est moins cher, celui des grandes villes un peu plus. Le coût de financement des projets assumés par la Banque et ses partenaires pourrait donc être, selon les cas, le double, le triple ou au-delà de ce qu’il est pour des projets réalisés sous la responsabilité directe des pouvoirs publics. La viabilité de certaines caisses de retraite s’en trouvera renforcée, mais il s’agira en réalité d’un transfert des usagers ou des contribuables en faveur des prestataires, des actionnaires et des gestionnaires des fonds institutionnels.
Certes, face à ces inconvénients, les provinces et les municipalités pourraient toujours opter pour se débrouiller sans le recours à la Banque, mais, dans cette éventualité, il faudrait qu’elles puissent continuer de profiter d’une participation fédérale substantielle à leurs projets d’infrastructures. Que ce soit au Sénat ou à la Chambre des communes, le Parlement doit obtenir du gouvernement fédéral des assurances à cet effet. Tout comme il doit permettre aux Canadiens de savoir quel bénéfice net la création de la Banque apportera aux contribuables et aux usagers des infrastructures publiques.
Bref, le sénateur Pratte a raison de demander du temps pour un examen rigoureux des enjeux soulevés par la Banque de l’infrastructure du Canada.
Sans le recours à la Banque, il faudrait que les provinces puissent continuer de profiter d’une participation fédérale substantielle à leurs projets d’infrastructures