Quête musicale
Le documentaire Chasing Trane revient sur la vie et l’oeuvre de John Coltrane
CHASING TRANE: THE JOHN COLTRANE DOCUMENTARY
★★★ 1/2 Documentaire musical de John Scheinfeld. États-Unis, 2017, 99 minutes.
On craint le pire, ou enfin la banalité, au cours des premières minutes du documentaire Chasing Trane, consacré à l’illustre saxophoniste John Coltrane. On y évoque sa gloire, sa chute puis sa renaissance comme dans l’un de ces reportages musicaux formatés. Heureusement, la structure ne tarde pas à éclater, l’alternance d’images d’archives et de «têtes parlantes» s’enrichissant de peintures, de films familiaux inédits, d’extraits de concerts grisants… Puis, Coltrane lui-même prend la parole: un Denzel Washington sobre et habité lui prête sa voix.
«Je dois continuer d’expérimenter, confie-t-il. Je sens que je ne fais que commencer. Une partie de ce que je cherche est à ma portée. Mais pas tout. J’aime la musique orientale, africaine, espagnole, écossaise, indienne ou chinoise; c’est ce côté universel de la musique qui m’intéresse et m’attire.»
Cette universalité, le jazzman parvint à y toucher avant de mourir prématurément, à l’âge de 40 ans. Courte mais hors de l’ordinaire, la vie de John Coltrane. John Scheinfeld en aborde tous les pans, les sombres comme les lumineux. Le documentariste a réuni pour ce faire une impressionnante galerie d’intervenants, y compris la belle-fille de Coltrane, qu’il éleva comme la sienne et qui brosse en une seule anecdote le portrait d’un homme bon.
«Je me souviens de cette fois où j’avais besoin d’une nouvelle paire de souliers. John avait été sur scène toute la soirée. Il faisait mauvais; il neigeait. Plutôt que de rentrer en taxi, il a marché une partie de la nuit pour garder l’argent pour mes souliers. Ça, c’est un vrai père.»
Quête spirituelle
Hélas, Coltrane était héroïnomane et alcoolique. Le témoignage du saxophoniste Benny Golson est à cet égard poignant.
«Il y avait cette croyance, dans le milieu, que les drogues dures rehaussaient la création. Le destin de Charlie Parker est tristement éloquent. Et tout ce monde qui pensait atteindre son niveau en se “shootant”. C’est un mythe! Le nombre de mes amis qui sont morts en essayant…», se désole-t-il.
Les excès de Coltrane forcèrent Miles Davis à l’éjecter du célèbre First Great Quintet. Retourné vivre chez sa mère, il vécut un éveil spirituel, ou peut-être retrouva-t-il en lui cet enfant qui écoutait jadis les enseignements de son grandpère pasteur.
Le film semble valider cette thèse, rappelant que Coltrane grandit dans le Sud ségrégationniste, que la religion était le moteur de la communauté noire et que c’est à l’église qu’il vécut ses premières expériences musicales.
À propos du racisme endémique dans le Sud de Jim Crow, l’ancien président américain Bill Clinton, amateur de saxophone notoire, y va de cette réflexion : «C’était un climat propice à ce que la douleur de ces gens propulse leur art.»
Il reste que Coltrane ne fut plus jamais le même après s’être arraché à la déchéance. Dès lors, sa démarche mue par un désir de dépassement et d’expérimentations s’enrichit d’une quête spirituelle; elle devint un voyage.
Et s’il est une chose que ce documentaire réussit, c’est de donner envie de faire durer ce voyage en se plongeant dans la musique de John Coltrane.
V.O.A. : cinéma du Parc