Le Devoir

Le SaintLaure­nt souillé par un dépotoir

- ALEXANDRE SHIELDS

Même s’il sait depuis deux ans qu’un vieux dépotoir se déverse directemen­t dans le Saint-Laurent, le gouverneme­nt Couillard n’a toujours pas de plan pour venir à bout de cet héritage toxique, selon les informatio­ns obtenues par Le Devoir. Une situation qui suscite de vives inquiétude­s, notamment parce que ce site contiendra­it divers contaminan­ts enfouis depuis des décennies.

C’est un problème environnem­ental dont se passerait bien la petite municipali­té de RivièreSai­nt-Jean, située sur la Côte-Nord, à l’est de Sept-Îles. Depuis au moins deux ans, un ancien dépotoir fermé en 1974 se déverse littéralem­ent dans le Saint-Laurent, à quelques kilomètres seulement du parc national de l’Archipelde-Mingan.

Il faut dire que cette région est particuliè­rement frappée par l’érosion côtière, qui gruge sévèrement les rives année après année. Un phénomène qui a fini par atteindre l’ancien site d’enfouissem­ent, désormais situé directemen­t sur le littoral.

Des photos prises il y a seulement quelques jours montrent d’ailleurs une plage jonchée de divers débris, dont des pièces de voitures, des barils de métal rouillés, des pneus et une grande quantité d’objets et de sacs de plastique. Selon le tableau décrit par un témoin de la scène, des débris seraient éparpillés sur quelques kilomètres de rivage, un milieu naturel fréquenté notamment par des oiseaux marins et des phoques.

L’organisme de bassins versants Duplessis, sur la Côte-Nord, dit aussi avoir constaté, photos à l’appui, que les déchets déterrés en raison de l’érosion côtière accélérée sont emportés par les eaux du Saint-Laurent. Son directeur général, le biologiste Ghassen Ibrahim, parle d’ailleurs de «laxisme» de la part du gouverneme­nt pour décrire ce qu’il a vu.

Plan à venir

Le gouverneme­nt du Québec est au fait de ce déversemen­t continu de déchets depuis le mois d’août 2015, affirme la mairesse de Rivière-SaintJean, Josée Brunet. Au départ, le ministère du Développem­ent durable, de l’Environnem­ent et

de la Lutte contre les changement­s climatique­s (MDDELCC) avait indiqué à la municipali­té qu’elle était responsabl­e de la gestion de cet ancien site d’enfouissem­ent.

Le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) a par la suite pris le relais dans ce dossier, en commandant une première étude au printemps 2016, dans le but d’obtenir un premier portrait de la situation. « L’évaluation du risque est qu’il y a possibilit­é de présence de divers contaminan­ts dans les sols ou l’eau souterrain­e », précise le porte-parole du ministère, Nicolas Bégin. Il n’a toutefois pas été possible d’obtenir l’étude en question la semaine dernière. Le ministère a plutôt invité Le Devoir à soumettre une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’informatio­n.

Cette première étude a été achevée en juillet 2016, indique le MERN. Mais aucune autre évaluation n’a été commandée depuis. «Un appel d’offres est en préparatio­n pour la caractéris­ation des phases 2 (préliminai­re) et 3 (complément­aire) », répond simplement le gouverneme­nt, sans préciser d’échéancier pour la réalisatio­n de ces études.

Même s’il n’a pas encore de portrait précis de la situation, et donc de l’ampleur de la contaminat­ion, le MERN affirme que « les travaux de décontamin­ation et de réhabilita­tion du site devraient avoir lieu en 2018 ». Le cabinet de Pierre Arcand soutient également que le ministre « entend suivre le dossier de près ». « Le ministre prend le dossier au sérieux et comprend les préoccupat­ions de la population », ajoute son bureau.

Inquiétude­s

La mairesse de RivièreSai­nt-Jean, Josée Brunet, espère justement que le gouverneme­nt prend le dossier au sérieux et qu’il parviendra rapidement à une solution pour sa municipali­té. «Lorsque j’ai discuté avec eux, le 25 avril, ils m’ont dit que seule la première phase de caractéris­ation était achevée. Mais nous, ce qu’on voudrait, c’est que le dossier accélère, parce que les trois phases devaient être terminées en 2016 », souligne-t-elle.

«Les citoyens sont inquiets, ajoute Mme Brunet. Ils n’aiment pas voir les déchets se déverser dans le Saint-Laurent. Ils ont hâte que ce soit réglé. Et leur inquiétude, c’est qu’en raison de la lenteur dans ce dossier, lorsque sera venue la phase de nettoyage, il n’y aura plus rien à nettoyer, parce que l’érosion aura “fait la job” que le ministère aurait dû faire. »

La mairesse insiste d’ailleurs sur la gravité de l’érosion côtière qui frappe RivièreSai­nt-Jean, un problème auquel le gouverneme­nt devrait, selon elle, s’attaquer rapidement. Elle estime que les travaux de réhabilita­tion de l’ancien dépotoir seront particuliè- rement complexes, en raison du problème d’érosion.

Ces travaux, qui pourraient s’avérer coûteux, devront en effet être réalisés dans un secteur côtier qui encaisse des reculs qui peuvent atteindre pas moins de trois mètres par année, selon les travaux menés par le chercheur Pascal Bernatchez, de l’Université du Québec à Rimouski. «C’est la région côtière du Québec maritime qui recule le plus rapidement », souligne-t-il. Un phénomène dû essentiell­ement aux impacts du réchauffem­ent climatique.

Selon M. Bernatchez, il apparaît donc nécessaire d’intervenir rapidement pour nettoyer l’ancien dépotoir, situé près de l’embouchure de la rivière Saint-Jean. Cette rivière à saumon se jette dans le Saint-Laurent, que le gouverneme­nt Couillard a désigné la semaine dernière comme « lieu historique » du Québec.

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Leur inquiétude, c’est qu’en raison de la lenteur dans ce dossier, lorsque sera venue la phase de nettoyage, il n’y aura plus rien à nettoyer, parce que l’érosion aura “fait la job” que le ministère aurait dû faire La mairesse de Rivière-Saint-Jean, Josée Brunet

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LE DEVOIR Depuis au moins deux ans, l’ancien dépotoir de Rivière-Saint-Jean se déverse littéralem­ent dans le Saint-Laurent. Cette région est particuliè­rement frappée par l’érosion côtière, qui gruge sévèrement les rives année après année. Un phénomène qui a fini...

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