Série «Les geeks d’aujourd’hui».
Gagner sa vie grâce aux jeux vidéo.
Le Devoir vous propose, cet été, le premier d’une série d’articles sur les geeks d’aujourd’hui, ces mordus dont la passion pour les pixels, les technologies du Web, la culture populaire ou les passe-temps en tout genre se déclinent de mille façons. Aujourd’hui, rencontre avec Julien Perrault, un gamer qui, comme d’autres, a d’abord saisi la manette par pur plaisir. Ses prouesses l’ont toutefois mené à un niveau atteint seulement par une minorité d’adeptes. L’an dernier, le jeune pharmacien a ainsi gagné sa vie grâce à son jeu vidéo préféré, Hearthstone.
Au début, je ne jouais vraiment pas tant que ça [à Hearthstone]. Une heure ou deux, ici et là, raconte le jeune homme. Après un bout de temps, je me suis mis à y être plus intéressé et à y investir plus de temps. Mais je n’ai jamais eu l’intention de devenir compétitif à ce jeu.»
Julien n’a jamais été du type collectionneur de jeux, plutôt du genre «compléteur» (traduction libre de l’anglais «completionist»). Les quelques jeux qui ont attiré son attention l’ont eue tout entière. Adolescent, c’est Diablo II, une référence des jeux de rôle sur ordinateur, qui l’a happé. Le joueur y incarne un héros de la «classe» qu’il choisit (magicienne, amazone, paladin, etc.) et doit affronter les démons qui ont envahi un monde fantastique. Un ami et lui en sont venus à partager un seul compte de la portion en ligne du jeu, pouvant ainsi passer un maximum de temps connectés, monter en grade et ainsi hisser leur avatar commun parmi les meilleurs joueurs au monde.
Un jeu en apparence léger
Aujourd’hui, c’est un autre jeu créé par la même entreprise, la californienne Blizzard, qui le passionne: Hearthstone. «C’est un jeu en apparence très léger, à l’ambiance fantaisiste. Il est ponctué d’une musique amusante, les bonshommes ont des voix drôles. Il rejoint plein de monde parce qu’il est très accessible», décrit Julien.
Jeunes et moins jeunes y retrouvent un style de jeu de cartes à collectionner mis en avant par «Magic: l’assemblée» et ses émules dès le début des années 1990. Un jeu qui ne se jouait alors pas sur les écrans, mais sur table. Dans Hearthstone, offert sur appareil mobile et ordinateur, l’utilisateur assemble préalablement des jeux de cartes (appelés decks) affichant créatures, sortilèges ou protection accumulés ou achetés au fil du temps, puis affronte des adversaires humains désignés aléatoirement selon le classement de chacun. L’univers du jeu est celui de la franchise à succès Warcraft, qui reprend les codes classiques du monde de la fantaisie. Le joueur invoque donc elfes, gobelins, trolls et chevaliers pour se battre.
La formule est diablement efficace: Blizzard annonçait avoir atteint le cap des 70 millions de joueurs en mai dernier, un peu plus de trois ans après sa sortie en mars 2014.
«C’est un genre que j’aime bien, raconte Julien en se souvenant du début de son expérience, l’an dernier. C’est un jeu de stratégie où tu n’as pas besoin de cliquer vite ou d’avoir des réflexes fous. T’as le temps de penser à ton affaire.» Le déroulement de Hearthstone diffère fondamentalement des pétarades de coups de feu de Counter-Strike ou des combats épiques entre magiciens de League of Legends ou de DOTA (Defense of the Ancients). Le jeune homme, qui s’était auparavant découvert un grand talent pour le poker en ligne, y a trouvé son compte.
Compétition garantie
«Si tu veux jouer de façon compétitive, là, ça devient difficile», poursuit Julien. En effet, les joueurs plus sérieux optent pour le circuit «classé» de Hearthstone, où chaque partie change le rang du joueur dans le classement mondial. C’est dans cette arène que Julien Perrault, qui s’identifie en ligne avec le surnom Cydonia, a fait sa renommée sur la scène compétitive. «J’ai commencé tranquillement, pour le fun, à bâtir ma collection. Assez vite, j’ai remarqué que j’étais plus haut classé qu’un de mes amis qui jouait depuis un bout de temps. Je me suis dit que je n’étais pas si mauvais ! »
Il faut dire que la carotte au bout du bâton a de quoi stimuler même le plus tranquille des joueurs. En remportant la section américaine du Championnat du monde de Hearthstone, organisé par Blizzard elle-même en juin 2016, Cydonia a empoché 25 000$. Ce faisant, il s’est qualifié pour la grande finale réunissant les 16 meilleurs joueurs au monde, tenue en Californie en octobre, et qui promettait un pactole d’un million de dollars. Pourquoi faut-il se rendre sur place si le jeu est en ligne ? « Pour éviter la triche, c’est sûr», explique Julien. À la maison, les joueurs pourraient faire des conférences téléphoniques avec d’autres pour bénéficier de trucs et d’astuces, par exemple. Ou encore partager leur compte avec un ami!
«Puisque j’allais dans un tournoi où le premier prix était de 250 000$, je me suis dit que ça valait la peine de prendre le temps de polir mon jeu et de m’améliorer. Juste en me présentant au championnat, je gagnais 25 000$, mais je pouvais gagner jusqu’à 250 000 $! »
Le joueur de poker en lui a flairé l’occasion à saisir. Sur place, il a pris part à l’exercice habituel: visite des studios de webdiffusion, séances photo, rencontres avec les médias, visite des bureaux de Blizzard. Julien a finalement empoché 50 000$ en terminant dans le top 8, «ce qui n’est pas extraordinaire, mais mieux que rien», selon lui. Ses victoires lui ont valu près de 80 000 $ au total en 2016.
Jeu et recherche
Lui qui travaillait jusqu’alors comme pharmacien remplaçant, il n’a fait que deux quarts de travail au cours de la dernière année. «Je ne me considère pas comme un joueur professionnel, affirme Julien. Je dirais que c’est comme un travail, mais est-ce une profession ? Ça demande tellement de temps… je mets beaucoup plus d’heures par semaine sur Hearthstone que j’en mettais quand j’allais travailler au punch .»