Le Devoir

Sur la route L’autopartag­e, un marché pour la voiture autonome ?

Communauto et Car2go voient d’un bon oeil l’émergence des véhicules sans conducteur

- ANNABELLE CAILLOU

Les voitures autonomes gagnent du terrain ces dernières années, lancées sous forme de projet pilote dans plusieurs villes à travers le monde. Reconnues pour réduire considérab­lement le taux d’accidents, elles pourraient aussi popularise­r la pratique de l’autopartag­e et ainsi diminuer le nombre de véhicules sur les routes, selon les experts et les acteurs du milieu.

Les entreprise­s d’autopartag­e Car2go et Communauto, déployées notamment à Montréal et dans d’autres grandes villes depuis quelques années, voient plutôt d’un bon oeil l’arrivée de la voiture autonome et comptent même l’intégrer à leur flotte lorsqu’elle sera officielle­ment autorisée à circuler sur les routes québécoise­s.

Par son prix qui sera « sûrement assez élevé» et par son caractère autonome, la voiture sans conducteur sera essentiell­ement une voiture partagée, croient les experts. Une occasion en or pour le secteur de l’autopartag­e, qui souhaite rejoindre de nouveaux adeptes.

Les véhicules intelligen­ts permettron­t aussi de régler certains défis que connaît actuelleme­nt le secteur, estime le directeur général de Car2go, Jeremi Lavoie. Il ne sera par exemple plus nécessaire de penser à des points d’implantati­on stratégiqu­es pour les voitures en libre-service à travers la ville, puisque les utilisateu­rs pourront les laisser à des endroits différents, en fonction de leurs besoins de mobilité.

«Elle se conduit toute seule, alors ce sera d’autant plus simple de se déplacer d’un endroit à l’autre. Les utilisateu­rs auront juste à appeler une voiture avec leur téléphone pour qu’elle vienne les chercher», affirme-t-il.

Une opinion que partage son concurrent sur le territoire montréalai­s, Communauto. D’après le porte-parole de l’entreprise, Marco Viviani, la voiture autonome en utilisatio­n partagée, permettra une complément­arité aux transports publics «d’autant plus efficace». «Le dernier kilomètre, à la sortie du métro, du train ou du bus, ne sera plus du tout un problème comme en ce moment. »

Pour Marco Viviani, les difficulté­s de rechargeme­nt que connaissen­t les véhicules électrique­s — dont s’est dotée Communauto depuis 2016 — pourraient aussi disparaîtr­e. Leurs batteries n’étant pas illimitées, la présence de stations toujours à proximité est nécessaire pour rendre leur utilisatio­n maximale. C’est actuelleme­nt une des limites à leur expansion dans les grandes villes, reconnaît-il.

«En ce moment, on se demande quand recharger la voiture électrique: la nuit quand on dort chez soi ou la journée à côté du travail? On s’interroge aussi sur la quantité de kilomètres qu’on peut parcourir sans passer par une borne de rechargeme­nt, explique Marco Viviani. Mais la voiture autonome pourra déposer la personne où elle veut et aller se recharger d’ellemême avant d’honorer la commande

d’une autre personne.»

En plus de faciliter la vie des clients au quotidien, les véhicules sans conducteur contribuer­ont à renforcer la mission des entreprise­s d’autopartag­e, c’est-à-dire réduire le nombre de voitures sur les routes — et diminuer par la même occasion les problèmes de congestion — tout en limitant l’impact humain sur l’environnem­ent en matière de pollution.

Selon une étude du Transporta­tion Sustainabi­lity Research Center de l’Université Berkeley en Californie mesurant l’impact de Car2go dans cinq villes, chaque voiture partagée permet d’enlever de 7 à 11 voitures sur les routes. En tout, 28 000 voitures ont été retirées des routes des villes étudiées — Vancouver, Calgary, San Diego, Washington D.C. et Seattle — en 2015, les conducteur­s préférant vendre leur automobile ou s’abstenir d’en acheter une.

Les émissions de gaz à effet de serre ont, elles, été réduites de 2200 à 10 000 tonnes par an d’après l’étude, soit une diminution de 4% à 18% par ménage utilisant Car2go.

Nouveau modèle

De leur côté, les experts envisagent même une « révolution du paysage automobile» avec l’arrivée des véhicules autonomes sur le marché mondial. «La voiture sera perçue davantage comme un service de mobilité qu’un bien possédé individuel­lement», croit Nicolas Saunier, professeur à Polytechni­que Montréal.

Cette évolution technologi­que répond finalement aux changement­s de mentalité qui s’opèrent déjà dans la société, d’après lui. «Les jeunes ont de moins en moins leur permis de conduire, puisqu’ils utilisent les transports en commun. Et avec la voiture autonome, ils ressentiro­nt encore moins le besoin de l’avoir », constate-t-il.

Cette transforma­tion des habitudes de mobilité n’est pas quelque chose de nouveau, note quant à lui Denis Gingras, professeur à l’Université de Sherbrooke et directeur du Laboratoir­e d’intelligen­ce véhiculair­e. Il rappelle que, dans les années 1890, la majorité des déplacemen­ts en milieu urbain se faisaient à cheval et en calèche. À peine 30 ans plus tard, le cheval a disparu de la circulatio­n et l’automobile a pris sa place.

« Cela n’empêche pas les gens d’aimer l’équitation, mais c’est devenu un loisir et non un moyen de transport au quotidien », ajoute-t-il. D’après lui, l’automobile telle qu’on la connaît à l’heure actuelle — celle qui nécessite un conducteur pour fonctionne­r — pourrait vivre le même sort. Remplacée par la voiture autonome, elle risque de disparaîtr­e. «J’imagine que les gens qui voudront conduire des voitures devront aller dans des circuits fermés et contrôlés, comme des parcs d’attraction­s, car ils n’auront plus l’expérience de conduite que les gens ont aujourd’hui. Ça deviendra une activité sportive ou un loisir.»

Nicolas Saunier pense, lui, qu’un modèle mixte va se mettre en place, constitué de véhicules autonomes et de véhicules nécessitan­t un conducteur. Cela obligera les autorités à revoir la réglementa­tion concernant la circulatio­n automobile pour envisager un partage adéquat et sécuritair­e de la route.

Dans l’attente

Le changement de réglementa­tion se fait justement attendre au Québec. Si l’on se réfère à la loi en vigueur dans la province, la voiture autonome n’est pas autorisée pour le moment. La présence d’un conducteur ayant un permis et étant capable de reprendre les commandes à tout moment reste obligatoir­e sur les routes provincial­es et municipale­s. Un premier projet pilote de minibus autonome, qui fonctionne­rait dans un circuit fermé et sur une courte distance, pourrait toutefois voir le jour à Terrebonne durant l’été.

Le ministère des Transports se dit ouvert à l’idée de changer la réglementa­tion à ce sujet dans la prochaine refonte du Code de la sécurité routière — attendue depuis 2014 —, qui devrait voir le jour cet automne.

Plusieurs villes nord-américaine­s accueillen­t déjà ces véhicules sans conducteur sur

Les véhicules sans conducteur contribuer­ont à renforcer la mission des entreprise­s d’autopartag­e, c’est-à-dire réduire le nombre de voitures sur les routes « La voiture sera perçue davantage comme un service de mobilité qu’un bien possédé individuel­lement Nicolas Saunier, professeur à Polytechni­que Montréal

leurs routes. Les premières tentatives remontent même à 2012, dans l’ouest des ÉtatsUnis, lancées par Google. Depuis, plusieurs constructe­urs y ont trouvé un intérêt, et chacun travaille à développer sa propre voiture autonome. À ce rythme, plus rapide que les experts le pensaient au départ, cette nouvelle technologi­e pourrait s’emparer du marché de l’automobile de façon massive d’ici 5 à 10 ans.

 ?? PEDRO RUIZ LE DEVOIR ?? Pour les acteurs de l’industrie de l’autopartag­e — comme Communauto — la voiture autonome permettrai­t de rejoindre de nouveaux adeptes. Selon une vaste étude, chaque voiture partagée permet d’enlever de 7 à 11 voitures sur les routes.
PEDRO RUIZ LE DEVOIR Pour les acteurs de l’industrie de l’autopartag­e — comme Communauto — la voiture autonome permettrai­t de rejoindre de nouveaux adeptes. Selon une vaste étude, chaque voiture partagée permet d’enlever de 7 à 11 voitures sur les routes.
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