David Suzuki au Devoir.
La Gaspésie devra vivre avec la montée des océans.
L’érosion du littoral, le développement pétrolier, la santé du fleuve et de la colonie de fous de Bassan: quand l’écologiste et scientifique David Suzuki passe en Gaspésie, c’est en homme inquiet. Pour lui, il n’y a pas de démonstration plus évidente des conséquences des changements climatiques et des effets anthropiques sur un territoire.
Il arrive au Havre culturel et touristique de L’Anse-àBeaufils, près de Percé, visiblement émerveillé par sa visite de l’île Bonaventure, où il a pu observer la plus grande colonie de fous de Bassan au monde. Il commande une bière locale, puis on s’installe à une table en bord de mer. «Cela fait si longtemps que je souhaitais venir en Gaspésie. Je me rappelle que nos cours de géographie nous enseignaient que cette péninsule était pratiquement à la fin du continent.»
Une fois les présentations faites, il se met immédiatement au travail en vulgarisant les enjeux écologiques de la planète, comme il le fait depuis 1979 à l’émission The Nature of Things. «Nous avons atteint un point crucial sur la planète: les hommes sont devenus si puissants, nous sommes devenus une force majeure, nous remodelons cette planète et ses propriétés biologiques, chimiques et physiques, mais nous n’avons pas assez de connaissances pour la forger de manière durable. »
Il est clair pour lui que les effets anthropiques sont en train de détruire «les ferments de vie de cette planète» et qu’il n’y a pas d’endroit plus évident que la Gaspésie pour démontrer les conséquences de l’action des hommes sur un territoire.
Il en veut pour preuve l’érosion du littoral du village de Percé et la destruction de
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toute sa promenade l’hiver dernier à la suite de tempêtes. Comment faire face à cela? «Vous devrez faire avec. Et lorsque les grands pans de glace du Groënland et de l’Arctique vont fondre, vous allez voir une hausse importante du niveau de la mer, en mètres. Les tempêtes seront de plus en plus fortes, et c’est les régions comme la Gaspésie qui vont s’en ressentir le plus», raconte M. Suzuki.
Entre fleuve et pétrole
«Non, il n’est pas en santé. Ce fleuve est à la fin des cinq Grands Lacs, eux-mêmes entourés de deux pays, de cinq États et de douzaines de villes qui y déversent leur merde. Et où pensezvous que tout cela se retrouve? Dans le Saint-Laurent, dans le golfe. Vous en subissez les conséquences! Il suffit de constater l’état des bélugas qui absorbent des produits toxiques.» Quand on lui rappelle que Québec entend protéger d’ici 2020 10% de la superficie de l’estuaire et du golfe du Saint-Laurent, David Suzuki réplique que «c’est tout le golfe qu’il faut protéger!»
Il prône aussi la fin de tout développement pétrolier en Gaspésie (Pétrolia et Junex y sont présents) et ailleurs au pays. «J’ai envoyé un courriel au premier ministre Justin Trudeau pour lui demander s’il
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était sérieux dans son engagement envers le traité de Paris et il m’a répondu que oui. Mais alors pourquoi construit-on encore des pipelines?» M. Suzuki trouve par ailleurs assez singulier le fait que se côtoient dans la MRC de La Côte-de-Gaspé une filière éolienne en plein boom et des forages pétroliers. «La Gaspésie a démontré qu’un choix envers une énergie renouvelable peut être fait. Et à cette aune toutes les collectivités doivent envisager une telle approche, que ce soit l’éolien, la géothermie ou autres.»
J’ai envoyé un courriel au premier ministre Justin Trudeau pour lui demander s’il était sérieux dans son engagement envers le traité de Paris et il m’a répondu que oui. Mais alors pourquoi construit-on encore des pipelines ?