Un condamné à mort s’est échappé, de Robert Bresson
Une série où les lecteurs révèlent un coup de coeur cinématographique
Vous êtes tombé dessus par hasard, au club vidéo ou à la télé. À l’inverse, vous avez ardemment attendu sa sortie au ciné. Vous savez, ce film qui vous a marqué.
Un film laissera une empreinte dans l’imaginaire du spectateur pour une foule de raisons: l’interprétation, l’histoire racontée, voire la manière dont celle-ci est racontée. Cela, c’est l’art de la mise en scène. Laquelle, dès lors qu’elle rend compte d’une réelle maestria, suscitera une impression prégnante plutôt qu’évanescente. On parle alors d’un choc esthétique, au sens philosophique du terme, c’est-à-dire du beau et de la perception du beau. Georges Langlois vécut un tel choc en découvrant Un condamné à mort s’est échappé, de Robert Bresson.
Un condamné à mort s’est échappé, sous-titré Le vent souffle où il veut, est le quatrième long métrage de Bresson, sorti cinq ans après Journal d’un curé de campagne, en 1956. Le film revient avec une sobriété admirable sur les circonstances spectaculaires — et véridiques — de l’évasion du résistant André Devigny d’une prison lyonnaise gardée par l’occupant allemand.
Arrêté par la Gestapo le 17 avril 1943, Devigny est condamné à mort le 20 août 1943. Entre-temps, il a d’ores et déjà commencé à planifier sa fuite…
L’appel de la liberté
«Ce film m’a procuré l’une des émotions esthétiques les plus fortes de ma vie, se souvient Georges Langlois. Je l’ai revu plus d’une dizaine de fois et il continue de m’éblouir.
Il faut dire que je l’ai vu la première fois dans des circonstances éminemment favorables. C’était mon premier voyage à New York, j’avais 16 ans, j’étais déjà passionné de cinéma, et New York apparaissait comme un véritable paradis de cinéphiles aux yeux d’un adolescent englué dans le Québec duplessiste de 1956.
Happé dès les premières images, je suis resté tendu, assis sur le bord du fauteuil, totalement envoûté, jusqu’à la catharsis finale, alors que les évadés s’éloignent dans la nuit pendant qu’éclate le Kyrie de la Messe en do mineur de Mozart. Quelle finale! J’en pleurais d’émotion et de joie.
La photo en noir et blanc est magnifique; l’image, dépouillée au maximum, utilise abondamment les gros plans [mains, visages] cadrés au scalpel; le montage est serré, ne laisse aucun répit dans le suspense. Pas un plan inutile. Et une bande-son extrêmement recherchée nous laisse entendre, bien que nous restions constamment à l’intérieur de la prison, voire de la cellule du héros, les bruits éloignés de la ville de l’autre côté des murs: cris d’enfants, cloches de tramways et, surtout, sifflets de locomotives qui semblent appeler vers la liberté.
Un plan, surtout, m’est resté, inoubliable : au cours de l’évasion, le héros, sur le toit de la prison, avance précautionneusement la tête au-dessus du chemin de ronde. On voit la tête apparaître en gros plan, en contre-plongée, au-dessus du rebord du toit. Une petite brise soulève alors ses cheveux, tandis que retentit un sifflet de locomotive. L’appel même de la liberté, dans un plan de quelques secondes.
Tout Bresson est là…»
Sans ornements
Bresson qui, d’entrée de jeu, met en garde le spectateur : « Cette histoire est véritable. Je la donne comme elle est, sans ornements »
Une approche qui eut l’heur de plaire. Dans sa critique parue dans les Cahiers du cinéma, le futur cinéaste François Truffaut écrivit:
« Pour moi, Un condamné à mort s’est échappé est le film français le plus décisif de ces dix dernières années. Le film qui, en son principe, constituait d’abord une expérience extrêmement périlleuse est devenu une oeuvre émouvante et neuve grâce au génie obstiné de Robert Bresson, qui a su, tout en prenant le contre-pied de toutes les formes de cinéma existant, accéder à une vérité inédite par un nouveau réalisme. Le suspense, car il y a aussi un certain suspense, est créé noblement, naturellement, non sur la dilatation de la durée, mais, au contraire, sur son évaporation.»
En 1975, Truffaut réitéra son admiration pour Un condamné à mort s’est échappé en l’incluant dans son recueil Les films de ma vie.
Génie sonore
Comme l’évoque monsieur Langlois, l’apport du son ne saurait être minimisé dans l’impact du film. Un aspect fondamental sur lequel revient David Bordwell dans son ouvrage phare Film Art: An Introduction.
« Pendant le film, le son a plusieurs fonctions importantes. Comme dans tous ses films, Bresson met l’accent sur la bande-son, croyant à juste titre que le son peut être tout aussi cinématographique que l’image. À certains moments, dans Un condamné à mort s’est échappé, Bresson laisse même sa technique sonore dominer l’image; pendant le film, nous sommes contraints d’écouter », insiste Bordwell.
Du même souffle, le théoricien du cinéma affirme que Bresson est, selon lui, l’un des rares cinéastes capables de créer ce qu’il appelle une «réciprocité » entre l’image et le son.
Un grand succès
En l’occurrence, Robert Bresson est indéniablement l’un des réalisateurs préférés des cinéphiles purs et durs. Or, en son temps, Bresson était loin de ne plaire qu’aux fins connaisseurs. De rappeler Frédéric Strauss dans Télérama lors d’une ressortie en 2007:
« La rigueur du cinéma de Bresson, devenue vaguement synonyme de sécheresse, est souvent jugée élitiste. Mais Un condamné à mort s’est échappé fut un grand succès public, et c’est bien l’un des films les plus prenants et les plus bouleversants qui soient […] L’univers de la prison, facilement pittoresque au cinéma, est représenté, ici, avec un dépouillement qui en accentue la pesanteur tragique. »
Le thème central, celui de la résistance, au propre et au figuré, est extrêmement porteur; il est universel. Strauss, encore, conclut d’ailleurs bellement en ramenant la raison d’être du sous-titre choisi par le cinéaste:
«Bresson montre aussi la résistance de l’esprit humain, les forces d’un mystère qui s’appelle peut-être la foi, comme le suggère le sous-titre qu’il a donné au film, une phrase du Christ à Nicodème: “Le vent souffle où il veut.” L’ampleur donnée à cette histoire est en tout cas magnifique. »
« Bresson montre aussi la résistance de l’esprit humain, les forces d’un mystère qui s’appelle peut-être la foi Frédéric Strauss, journaliste à Télérama