Inondations 2017
Éviter les écueils du passé
La politique de reconstruction de maisons en zones inondables en 2011, en Montérégie, n’est pas un exemple à suivre, selon des experts. Si, à l’époque, le gouvernement avait dérogé à sa réglementation qui interdit de rebâtir dans les secteurs inondables aux 20 ans, Québec semble aujourd’hui déterminé, à la suite de la crue printanière qui a ravagé 278 municipalités, à appliquer sa politique à la lettre. Mais à un an des élections provinciales, la volonté du gouvernement résistera-t-elle à la pression des élus et à celle des sinistrés en colère qui veulent eux aussi avoir le droit de reconstruire?
«La décision de 2011 avait surpris, se souvient Isabelle Thomas, professeure à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. L’objectif du gouvernement devait être de faire comprendre qu’avec les changements climatiques, il faudrait repenser notre façon de reconstruire, alors qu’à l’époque la décision est allée contre la politique existante et a permis beaucoup de dérogations.»
Depuis 2005, la politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables interdit la construction ou la reconstruction sur tout terrain qui risque d’être inondé dans les 20 ans à venir.
En 2011, la vallée du Richelieu a connu une montée des eaux historique. Au total, 3000 maisons et chalets, dans 40 municipalités, avaient été inondés.
Le directeur de l’urbanisme de Saint-Jeansur-Richelieu, Luc Castonguay, se rappelle avoir lui-même été surpris lorsque Québec avait décidé de revoir son règlement pour permettre aux sinistrés dont les maisons avaient été lourdement endommagées de les démolir pour les reconstruire.
Encore aujourd’hui, il s’inquiète du précédent que cette décision de l’ancien premier ministre Jean Charest a pu créer.
«Pour la quantité de résidences que ça a permis de reconstruire, comme urbaniste, je ne trouve pas que c’était l’idée du siècle», confie M. Castonguay.
Dans la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu, 560 résidences avaient été endommagées, dont 34 devaient être démolies. Dans la zone à fort risque d’inondation, une trentaine de maisons ont ainsi été reconstruites.
Opération prévention
La reconstruction ne s’est toutefois pas faite «telle quelle», assure M. Castonguay.
Chaque municipalité avait à déterminer les critères pour s’assurer que, dorénavant, les résidences soient protégées contre la montée des eaux.
«Il y a des gens qui ont choisi d’opter pour une maison sur pilotis alors que d’autres ont surélevé leur terrain d’environ 3 pieds », souligne M. Castonguay.
Même si les inondations leur ont fait vivre le pire, plusieurs résidents n’ont pas renoncé à vivre au bord de la rivière Richelieu. C’est le cas de Normand Guertin, qui a rénové sa résidence même s’il sait qu’elle est située dans une zone inondable.
«C’est vrai qu’il y a un risque, mais on a pris les moyens pour ne pas que la maison soit touchée la prochaine fois», souligne-t-il.
En 1974, lorsqu’il a acheté sa maison, M. Guertin l’avait déjà relevée de deux pieds. À l’été 2011, il l’a cette fois relevée de 3,4 pieds.
«Si le scénario de 2011 se répétait, je n’aurais pas d’eau dans la maison», assure-t-il.
Au total, les inondations survenues en Montérégie en 2011 ont coûté plus de 110 millions au gouvernement du Québec. Le montant inclut les indemnités, allant jusqu’à 150 000$ pour les citoyens dont la résidence a été classée perte totale.
La Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu dit avoir tiré des leçons de l’épisode de 2011. Elle s’est notamment munie 25 000 poches de sables, prêtes à être distribuées. D’ailleurs, ce printemps, elle en a offert 20 000 aux municipalités touchées par les crues du printemps.
Vision à court terme
Le gouvernement a manqué de vision en 2011, déplore toutefois l’architecte et ancien président de l’Ordre des architectes du Québec, André Bourassa. Il estime que Québec a manqué une occasion de repenser les constructions en zone inondable.
«Le bord de l’eau a été bâti et on ne peut pas empêcher les gens de vouloir rester là. Ceci étant dit, ce n’est pas à la collectivité de payer pour le choix d’une minorité de citoyens. Quand je vois des villes continuer à autoriser des résidents à construire des sous-sols en zone inondable, je trouve que le gouvernement a eu une vision à très court terme», dit M. Bourassa.
Cette année, les crues du printemps ont inondé 5300 résidences dans 278 municipalités, forçant l’évacuation de 4000 personnes. Cette fois, le gouvernement du Québec semble vouloir être plus strict et assure qu’il entend faire respecter la loi.
Le ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMOT) veut adopter d’ici la fin du mois de juillet un décret pour interdire la reconstruction d’une résidence considérée comme une perte totale, c’est-à-dire dont le coût des travaux représente de 50 à 65% de la valeur de la maison, si celle-ci se trouve dans une zone inondable 0-20 ans.
Lors de consultations publiques sur la reconstruction en zone inondable menées simultanément dans 17 municipalités le 10 juillet, des sinistrés en colère ont demandé aux représentants du gouvernement d’avoir droit aux mêmes exceptions que les inondés de 2011. Ils ont également déploré qu’on se serve de la valeur foncière de leur terrain pour évaluer les dommages, ce qui n’avait pas été fait en 2011.
Le ministre Martin Coiteux a répliqué le lendemain qu’on ne peut pas «faire semblant» et «ignorer » les impacts des changements climatiques.
«On ne peut pas se permettre de faire comme si ce n’étaient pas des zones inondables et de reconstruire tel quel. C’est quelque chose qu’on ne peut pas envisager », a-t-il insisté en début de semaine.
Il a toutefois laissé la porte ouverte à une «amélioration» du décret et a rappelé que celui-ci permettra au comité d’analyser «les cas particuliers» et par conséquent d’autoriser des exceptions.
Des maires réticents
Certains experts craignent que les conditions soient une fois de plus réunies pour que la pression populaire fasse reculer le gouvernement, à quelques mois d’une élection municipale et à un an d’une élection provinciale.
Si à Rigaud le maire Hans Gruenwald croit qu’il faudra prendre des décisions difficiles, mais nécessaires, son homologue de Gatineau, Maxime Pedneaud-Jobin, lui, n’hésite pas à qualifier « d’erreur » le décret du gouvernement.
«Le bord de l’eau, c’est un revenu foncier important pour les villes. Leurs revenus en dépendent alors c’est plus intéressant pour elles de permettre de reconstruire dans ces zones-là que d’en faire des zones tampons », souligne Philippe Gachon, professeur à l’UQAM et titulaire de la Chaire de recherche stratégique sur les risques hydrométéorologiques liés aux changements climatiques au Canada.
Il rappelle qu’en 2011, des maires avaient fait front commun pour que le gouvernement contrevienne à sa politique.
«C’était juste avant l’élection provinciale de 2012, alors plutôt que de prendre des décisions difficiles, on a préféré balayer ça sous le tapis, et six ans plus tard on se retrouve face aux mêmes questions », dit M. Gachon.
Il déplore cependant que Québec mette les citoyens «au pied du mur» en fixant un plafond pour déterminer ceux qui auront droit de rebâtir leur maison.
«Il faut mettre une limite, mais je trouve ça cavalier de le faire en mettant les gens au pied du mur. Le gouvernement avait l’occasion d’assumer ses responsabilités depuis des années et il ne l’a pas fait. Imaginez la personne dont la maison est endommagée à 49% et celle à 51%. Ça va laisser place à beaucoup de contestations», fait valoir M. Gachon.
Pour Gonzalo Lizarralde, le gouvernement devrait évaluer les effets indirects de sa décision.
«Lorsqu’on pense en terme de planification de territoire, je crois que tous s’entendent pour dire que, dans un monde idéal, il n’y aurait pas de construction en zone inondable», souligne le professeur à l’école d’architecture de l’Université de Montréal et directeur de l’Observatoire universitaire de la vulnérabilité, de la résilience et de la reconstruction durable.
«Mais ce qu’on oublie parfois, ce sont les impacts. Est-ce qu’une restriction trop rigoureuse qui ferait disparaître plusieurs maisons au bord de l’eau viendra mettre de la pression foncière sur les terrains voisins ? »
M. Lizarralde rappelle aussi qu’il ne faut pas oublier le côté social de l’épreuve.
«Les gens ont un attachement à leur maison, pour plusieurs c’est l’investissement d’une vie. Mais en même temps, peut-on se permettre de déployer l’armée, de louer des hôtels et de fournir de l’aide alimentaire si les inondations deviennent plus fréquentes ? » se questionne-t-il.
Au-delà des décisions politiques, une maison dont les dommages atteignent plus de 50% de la valeur de la résidence ne vaut effectivement pas la peine d’être réparée, explique l’expert-conseil en bâtiment Stéphane Brousseau.
« C’est un pourcentage qui est raisonnable. C’est certain que le coût pour refaire une fondation est sensiblement le même pour un petit chalet de 80 000 $ que pour une maison de 200 000 $, mais une fois que ta structure, ton plancher et tes murs ont été touchés, malheureusement c’est souvent une perte totale», indique-t-il.
Les sinistrés connaîtront le sort de leur maison d’ici les cinq prochaines semaines tandis que le ministre Coiteux a promis d’envoyer tous les rapports d’inspection.
Selon Isabelle Thomas, le gouvernement du Québec a tout à gagner en gardant le cap et en appliquant le décret annoncé. «En 2011, c’était une décision discutable, aujourd’hui on est devant une décision courageuse. On ose espérer que Québec a tiré des leçons [du passé] », dit-elle.