Skulptur Projekte révèle les hypertextes de Münster
L’événement légendaire se déploie pour une 5e fois dans la ville
SKULPTUR PROJEKTE 2017 Lieux divers dans Münster (Allemagne) Jusqu’au 1er octobre
Skulptur Projekte (SP) se découvre avec à la main une carte de la ville, l’outil indispensable pour trouver les 36 projets inédits de l’événement disséminés dans Münster. Tous les 10 ans, depuis 1977, cette ville allemande est le théâtre d’une exposition spéciale présentant les oeuvres spécifiquement conçues pour le site.
L’événement né dans le but d’initier la population aux enjeux contemporains de la sculpture et de l’art dans l’espace urbain est depuis devenu une référence mondiale qui a fait école. Mythique par son rôle de pionner, SP se distingue encore par son envergure et sa fréquence, soit une fois par décennie, qui permet un précieux recul par rapport au site maintes fois investi et enrichi de 38 oeuvres héritées des éditions antérieures.
Toujours dans l’aventure, l’initiateur Kasper König assure la continuité alors que les commissaires Britta Peters et Marianne Wagner apportent un vent de fraîcheur qui répond aux attentes croissantes. 2007 proposait des oeuvres qui ancraient l’événement dans son histoire et fournissait avec le catalogue un ouvrage de référence pointu sur l’art dans l’espace public. Toujours à l’affût des réflexions de pointe en la matière, l’édition de cette année repense le caractère in situ, ou site-specific, des oeuvres qui est au fondement de SP en attestant de la mondialisation et du tout-numérique.
Nomadisme
Cela prend forme dans les interventions d’Aram Batholl, des dispositifs répartis en trois sites qui convertissent le feu en électricité pour alimenter des appareils numériques devenus incontournables dans nos vies. Près de l’antenne de télécommunication, son BBQ permet de se connecter à une base de données sans Internet, l’artiste rappelant ainsi qu’à l’encontre des apparences, cette plateforme appartient au privé.
L’aspect public des espaces — incluant les plus immatériels — et de l’art revient au coeur des réflexions abordées par les oeuvres qui continuent de faire du contexte de la ville leur matière, que ce soit pour ses dimensions géographiques, architecturales, sociales, historiques ou économiques. Dans l’ancien hôtel de ville où le Traité de Münster a été signé en 1648, assurant la paix en Westphalie, Alexandra Pirici évoque par les corps et les voix de six performeurs une conception de l’histoire et des identités nationales loin de la fixité et du monument.
À deux pas de là, le LWLMuseum, toujours le quartier général de SP, abrite quelques oeuvres traitant des frontières entre le privé et le public, dont la plus saisissante est celle de Gregor Schneider. Le banal appartement qu’il fait traverser bascule dans l’insolite. L’expérience désoriente et confine, se situant ainsi à l’opposé du projet de Michael Asher, montré par ses archives dans le musée. Avant sa mort en 2012, il a été de toutes les éditions avec sa caravane Eriba qu’il stationnait de semaine en semaine à différents endroits dans Münster, exposant par son nomadisme les trais propres à l’événement: la durée et la ville même.
Jardins communautaires
D’autres oeuvres anciennes qui, elles, marquent durablement le paysage sont aussi à ne pas manquer, comme le pavillon de Dan Graham (1987), le Square Depression de Bruce Nauman (1977-2007) et les boules de billard géantes sur les berges du lac Aasee, oeuvre iconique (1977) de Claes Oldenburg.
Pour tout voir, il faut quitter le coeur historique de la ville, une reconstitution des façades détruites lors de la Seconde Guerre mondiale. Le vélo s’impose pour gagner les oeuvres plus éloignées, l’événement ne cessant d’ailleurs d’élargir son périmètre. SP va encore plus loin cette année en ajoutant un volet dans la ville industrielle de Marl que plusieurs, comme Le Devoir, cependant risquent de ne pas visiter faute de temps.
Contrairement à Münster, tournée vers le passé, Marl dans les années 1950 a fait le choix de la modernité, mais a perdu avec le déclin des activités industrielles. Du reste, c’est l’informatique qui a triomphé, comme en témoignent éloquemment les oeuvres de Pierre Huyghe et de Hito Steyerl; lui avec la progression d’organismes cellulaires automates dans les entrailles inquiétantes d’un aréna; elle avec les récits entrecroisés de robots, anciens et actuels, dans le hall futuriste d’une banque.
C’est le passé colonialiste de l’Allemagne qui réapparaît dans le projet du Camerounais Hervé Youmbi. Ses masques fichés dans les arbres d’un ancien cimetière ne sont pas l’incarnation d’entités, mais l’évocation critique d’opérations culturelles (appropriation, hybridation, acculturation). Avec la mondialisation, les échanges culturels se multiplient, souvent dans des rapports asymétriques de pouvoir dictés par le marché. Il faut entrer dans une ancienne boutique asiatique pour visionner l’irrésistible vidéo de Mika Rottenberg, montrant un réel halluciné, celui de la Chine liant par ses marchandises des villes frontalières du Mexique et des États-Unis.
L’esprit de SP se résume brillamment dans le projet de Jeremy Deller, amorcé en 2007 avec les jardins communautaires. Dans l’un d’eux, une maisonnette permet de consulter les quelque 30 journaux de bord consignés par les jardiniers amateurs sur 10 ans. Les bouquins recèlent de petits trésors, témoins d’une vie ordinaire qui a lentement cours à Münster quand l’attention se trouve ailleurs.