Sauver son âme
Danielle Dussault recompose les fragments d’une intimité douloureuse entre Vilnius et Montréal
Il ne faut jamais se fier aux apparences, y compris lorsqu’elles prennent la forme d’une lettre glissée sous la porte d’un bureau pour rappeler le souvenir d’une présence, d’un lieu, d’un événement, d’un passé dont on a voulu s’extirper, sans doute pour survivre.
Franz Jirsa — c’est peut-être son véritable nom, ou pas — en prend rapidement conscience au contact de la première missive qu’il reçoit. L’homme, informaticien à l’Université Concordia, est spécialiste des algorithmes et de la mémoire des avatars, ces représentations virtuelles que l’on se donne pour exister dans les univers numériques. Ou pour faire revivre ceux qui n’existe plus. Il vient de Vilnius en Lituanie où le contenu de ces lettres, porté par la voix d’une femme, va le ramener, en 2003, juillet 2003, quelques jours avant la mort de Marie Trintignant sous la violence des coups de Bertrand Cantat dans la chambre 35 de l’hôtel Domina Plaza.
Tout est en langueur et en évocation dans Libera me (Éditions Michel Brûlé), nouveau roman de l’auteure prolifique Danielle Dussault. La narration oscille entre lui, elle, et surtout entre les fragments d’un passé qu’ils vont exposer chacun de leur côté pour tenter de reconstruire une mémoire commune et lointaine, en passant des couloirs d’une université montréalaise à ceux du Radisson Blu Hotel de Vilnius, du parc du Portugal à Montréal au Zaliasis Tiltas, ce pont vert qui enjambe la rivière Neris dans la capitale lituanienne, mais aussi en convoquant l’ex-membre du groupe Noir Désir, Leonard Cohen, sa poésie, et les rassemblements devant sa résidence montréalaise qui ont suivi son départ en novembre dernier. Il y est question de violence conjugale, de désespoir, mais aussi d’absolution.
L’écriture est classique. Elle laisse ses mots tracer les contours d’une intimité partagée, douloureuse, interdite et troublée qui puise subtilement dans le mystère de la mathématique, dans les détails de la vie urbaine, comme dans le monde de rêve pour se raconter. «La nuit, le monde disparaît derrière mes yeux. Dans l’obscurité, je me retrouve à mi-chemin entre le rêve et la réalité. Il suffit de peu pour que tu émerges à l’entrée de mes nuits. Tu as ce regard un peu fou, un regard qui s’empare de tout. La nuit alors que ton visage disparaît, je me retrouve seule dans ma chambre en dialogue avec l’absence.»
Il y a eu un couple, de la violence, une Marie rencontrée sur un pont à Vilnius un soir de désespoir, un regard chargé croisé sur la ligne orange du métro, direction Montmorency, mais il y a surtout très peu de certitudes dans ce texte, dont l’édition et la mise en page ont été un peu bâclées, et qui avance sans doute un peu trop lentement vers une destination finale, voire fatale sur laquelle le titre du bouquin ne fait pas de mystère. Libera me est ce chant liturgique qui apparaît à la fin des funérailles dans la tradition catholique, ce chant qui implore la délivrance du défunt de tous ses péchés.
LIBERA ME
Danielle Dussault Éditions Michel Brûlé Montréal, 2017, 134 pages