Le Devoir

Retour aux sources malécites

- CAROLINE MONTPETIT

Le Québec est l’hôte de onze nations autochtone­s reconnues par le gouverneme­nt du Québec, chacune parlant sa propre langue. Certaines de ces langues sont encore parlées par des milliers de locuteurs. Plusieurs sont sur la voie rapide de l’extinction. Cet été, Le Devoir rencontre chaque semaine un locuteur d’une de ces langues. Voici Dave Jenniss, de la nation malécite de Viger.

Jusqu’en 1989, le dramaturge Dave Jenniss, originaire de Trois-Pistoles, n’était pas officielle­ment Malécite. Pas plus qu’aucun Malécite de la province de Québec. Ce n’est qu’à la suite de longues démarches, entreprise­s par diverses familles de la région de Cacouna, que les Malécites de Viger, comme on les appelle, ont finalement été reconnus comme nation, par le gouverneme­nt du Québec, et comme Indiens inscrits par le gouverneme­nt du Canada.

Aujourd’hui, Dave Jenniss tente d’apprendre le malécite auprès de l’un des derniers locuteurs dont c’est la langue maternelle, dans la réserve de Tobique, au Nouveau-Brunswick. Il souhaite faire résonner sa langue sur les scènes du Québec.

Peuple nomade

Autrefois, bien avant l’arrivée des Européens, les Malécites formaient un peuple nomade qui voyageait en canot, entre autres sur la rivière Saint-Jean, qui prend sa source dans le nord du Maine, et se rend jusqu’au fleuve Saint-Laurent. En malécite, la rivière Saint-Jean s’appelle Wulustuk, «le peuple de la belle rivière », dit Jenniss, qui a donné ce titre à son premier texte de fiction. C’était avant que les autorités ne tentent de les sédentaris­er dans la communauté de Viger, près de L’Isle-Verte, dans le Bas-du-Fleuve. «Ils occupaient le territoire de façon nomade », raconte Dave Jenniss.

Le gouverneme­nt du Canada, en collaborat­ion avec le clergé, leur donne alors des terres, ainsi que des semences pour tenir durant deux ans. «Le problème, c’est que c’est un peuple nomade. Les Malécites ne pouvaient pas rester en place. Ils abandonnai­ent toujours leurs terres. Et ça ne faisait pas l’affaire des Blancs», poursuit Jenniss.

Le gouverneme­nt vend donc aux enchères les terres de Viger. Plus tard, les autorités tenteront de nouveau d’établir une communauté malécite à Whitworth, un territoire aride sur la route 185, situé en direction du NouveauBru­nswick. Mais le site n’est pas intéressan­t, et

c’est peine perdue. Les Malécites du Québec se dispersent et ce n’est qu’en 1989, après que des efforts sont menés par différente­s familles de la région, que la bande est reconnue par le gouverneme­nt du Canada, tandis que la nation malécite intègre les autres nations autochtone­s du Québec.

«Quand tu n’as pas de territoire, tu n’as pas de lien avec toi-même. Tu n’as pas de culture. Tu n’as pas de lieu de rassemblem­ent. Comment veux-tu préserver une langue? Donc, au Québec la langue malécite a été lettre morte pendant des années. Mais depuis quelque temps, il y a comme un désir d’apprendre cette langue», affirme Dave Jenniss.

Pour apprendre la langue malécite, il faut aller jusqu’au Nouveau-Brunswick ou dans le Maine, où les locuteurs qui la parlent couramment se comptent sur les doigts des deux mains.

Théâtre

Et les difficulté­s ne s’arrêtent pas là. Depuis la reconnaiss­ance de la nation malécite au Québec, deux familles de la région de Cacouna se déchirent sur le statut. Une famille accuse l’autre, celle du père de Dave Jenniss, qui est métis, d’avoir usurpé l’identité malécite et de s’identifier à tort comme autochtone.

« J’ai écrit cela: ma peau est blanche, mon coeur est rouge. Ce n’est pas parce qu’on est métissé qu’on n’a pas cette charge autochtone, ce désir qu’on a de parler au nom des gens », dit Jenniss.

Dave Jenniss en a fait récemment une pièce de théâtre, qui a été présentée au Printemps autochtone d’art, à Montréal. Il y jouait lui-même en compagnie d’Ivanie Aubin-Malo, une Malécite qui provient précisémen­t de la famille ennemie de celle des Jenniss. La pièce s’intitule Ktahkomiq, qui veut dire territoire, en malécite.

« Moi, je n’avais rien contre elle [Ivanie AubinMalo], mais elle avait été élevée là-dedans, la haine des Jenniss. Pour elle, ça a été bizarre que je l’appelle pour faire ce spectacle. Mais elle a accepté. Le but de notre production, c’était de se réconcilie­r. Mais comment? Par la langue…» raconte Jenniss.

Jenniss s’est donc rendu une semaine dans la réserve malécite de Tobique, au NouveauBru­nswick, pour apprendre la langue en compagnie d’Allen Tremblay. «Il donne des cours. Il parle couramment le malécite», dit Dave Jenniss. « Mais les gens qui le parlent sont de plus en plus âgés. Et si on ne fait pas quelque chose, cette langue-là ne se parlera plus », reconnaît-il.

«Quand j’y suis allé, je voulais avoir la base en malécite. C’était aussi pour entendre cette sonorité. Je voulais absolument intégrer cette langue dans mon spectacle. Je voulais qu’on l’entende sur scène.»

La langue malécite est difficile à apprendre, poursuit Dave Jenniss. Le p se prononce comme un b. Les noms des jours de la semaine intègrent aussi les nombres, un pour lundi, deux pour mardi, etc.

Les autochtone­s apprécient aussi le silence. «Avec Allen Tremblay, on marchait, on se promenait dans le territoire. Et je lui disais, parle, même si je ne comprends pas. Je veux juste entendre la langue. Je veux juste l’entendre.»

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Le dramaturge Dave Jenniss
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