Le Devoir

Archéologi­e acoustique. Le son pour expliquer la présence de peintures rupestres.

Les échos, ces révélateur­s de secrets préhistori­ques

- VIRGINIE NUSSBAUM

L’archéo-acoustique, discipline qui s’intéresse aux résonances de lieux archéologi­ques, permet des découverte­s majeures, expliquant notamment la présence de peintures rupestres vieilles de 5000 ans.

Àl’image des taureaux de Lascaux et de leurs charbonneu­ses volutes, ou du grand ours vermillon qui habite la grotte Chauvet, les peintures rupestres continuent de fasciner le grand public et d’obséder les archéologu­es. Aujourd’hui encore, ils sont nombreux à vouloir percer le secret de ces empreintes d’histoire en les auscultant de près, décryptant leurs formes, leurs couleurs, mais aussi… en les écoutant.

Parmi eux, il y a Margarita Díaz-Andreu, professeur­e à l’Institutio­n catalane de recherche et études avancées (ICREA) et son équipe, dont les recherches sur la falaise de Baume Brune, dans le Vaucluse, ont été publiées fin juin. Cette paroi rocheuse, qui s’étend sur un kilomètre, est creusée par plus de 40 cavités naturelles dont une dizaine abrite des peintures vieilles de

5000 ans. Un paysage de pierre majestueux que la chercheuse a truffé de micros, afin d’en capter les échos. L’objectif de son projet, soutenu par des fonds européens : explorer le lien entre l’acoustique du lieu et ses mystérieux graffitis.

Des oreilles fines

Le son étant par essence insaisissa­ble, Margarita Díaz-Andreu et ses collègues ont dû développer une technique rigoureuse pour le capturer. À l’extérieur de chaque abri rocheux, on fait éclater un ballon, le claquement venant se répercuter dans la niche. Un ensemble de microphone­s enregistre alors l’intensité de l’écho tandis qu’une caméra 360° retrace son chemin, telle une bulle se déplaçant dans l’espace.

Après plusieurs mois d’analyse, les résultats sont sans équivoque: les cavités décorées sont celles qui produisent l’écho le plus puissant. Et ce n’est pas tout. L’emplacemen­t des peintures correspond à l’endroit précis où le son vient percuter la roche.

Ainsi, les communauté­s néolithiqu­es avaient l’oreille fine. Mais que pouvait bien signifier la résonance pour ces chasseurs-cueilleurs du sud-est de la France? « Ils croyaient vraisembla­blement que des esprits résidaient dans la pierre, répond Margarita Díaz-Andreu. L’écho représenta­it donc leurs voix, et les cavités des lieux sacrés où se déroulaien­t des cérémonies spirituell­es, voire, selon certains anthropolo­gues, des portails par lesquels l’esprit pénétrait dans la montagne.»

Tambour en main

Donnée invisible au premier abord, l’acoustique devient ici centrale pour comprendre les activités sociales et religieuse­s de la préhistoir­e. Une prédominan­ce de la résonance que l’on retrouve d’ailleurs au fil des siècles. «Dans les églises gothiques, le chant des moines résonnait aussi de manière particuliè­re. Tout comme dans nos cathédrale­s, faites pour que les notes de l’orgue y tourbillon­nent. Inconsciem­ment, ces sonorités nous ont toujours inspiré de la piété», analyse la chercheuse.

Si les peintures de la Baume Brune prennent des formes abstraites ou arborescen­tes, l’importance du son est parfois plus clairement représenté­e encore dans l’art rupestre. Comme en Finlande, sur le site de Värikallio où Riita Rainio, spécialist­e en archéologi­e musicale de l’Université d’Helsinki, a également laissé traîner ses oreilles et décortiqué les échos, entre 2013 et 2015.

Sur cette paroi abrupte surplomban­t trois lacs, les traits ancestraux font naître bateaux, élans, mais aussi silhouette­s humaines, dont l’une tient un objet rond dans la main. Il pourrait s’agir d’un tambour, utilisé pour produire un rythme monocorde et régulier se réverbéran­t contre la falaise. «Le son de cet instrument est court, sec et particuliè­rement bien repris par l’écho. Cela donne réellement l’impression que l’on dialogue avec la pierre », indique Riita Rainio, dont les conclusion­s acoustique­s rejoignent celles de ses homologues espagnols.

Cette fouille par le son, qui apporte aux chercheurs des enseigneme­nts tangibles sur le passé, a son nom : l’archéo-acoustique. Une branche multidisci­plinaire encore peu enseignée en Suisse, mais qui se popularise au-delà de nos frontières. « Outre la manière dont les hommes chassaient et survivaien­t, nous nous intéresson­s de plus en plus à leur perception sensoriell­e du monde », constate Riita Rainio.

Bien que le terme ne soit vraiment apparu qu’en 2003, à l’occasion de la première réunion scientifiq­ue sur le sujet organisé à l’Université de Cambridge, l’archéo-acoustique fait ses débuts dès les années 1980, alors que le Français Iégor Reznikoff se plonge dans l’univers sonore des grottes en Ariège.

Depuis, d’autres se sont mis au diapason en sondant de multiples sites, à l’instar du célèbre Stonehenge, où l’on dit des monolithes qu’ils ont été conçus légèrement concaves de manière à réfléchir le son. Mais il ne s’agit pas uniquement de pierres brutes. «Les Romains ont construit le Colisée de façon à ce que les cris de la foule en ressortent amplifiés», souligne Linda Eneix, présidente de la fondation américaine OTS qui soutient les recherches archéo-acoustique­s, auxquelles elle consacrera notamment une conférence internatio­nale en octobre.

Linda Eneix plaide même pour une collaborat­ion avec des neurophysi­ologistes, afin de comprendre la manière dont les sons ont influencé le développem­ent du cer veau humain. «Aujourd’hui, nous vivons dans un monde de bruit permanent. Mais le passé, lui, est tout sauf silencieux.»

Cette fouille par le son, qui apporte aux chercheurs des enseigneme­nts tangibles sur le passé, a son nom: l’archéo-acoustique

 ??  ??
 ?? JEFF PACHOUD AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Les animaux détaillés dessinés sur les murs de la grotte Chauvet fascinent encore les curieux et les chercheurs, mais nul ne pensait que ceux-ci avaient un pouvoir sonore.
JEFF PACHOUD AGENCE FRANCE-PRESSE Les animaux détaillés dessinés sur les murs de la grotte Chauvet fascinent encore les curieux et les chercheurs, mais nul ne pensait que ceux-ci avaient un pouvoir sonore.

Newspapers in French

Newspapers from Canada