Le Devoir

Manque de vidéos lors des recours à la force

- COLIN PERKEL à Toronto

Les agents correction­nels canadiens ne se conforment pas aux règles concernant l’enregistre­ment vidéo des recours à la force contre les détenus, révèlent des données obtenues par La Presse canadienne.

Au cours du plus récent exercice financier, le Bureau de l’enquêteur correction­nel, Ivan Zinger, a passé en revue 1436 incidents durant lesquels des agents ont employé la force contre les prisonnier­s.

Bien que la situation se soit améliorée au cours des dernières années, près de 67% de ces cas présentaie­nt des problèmes par rapport à l’enregistre­ment des interventi­ons par caméra, a indiqué l’ombudsman, qui juge ce taux « alarmant ».

Les procédures régissant les recours à la force en milieu carcéral requièrent l’enregistre­ment sur bande vidéo de toute interventi­on planifiée, de même que celles qui surviennen­t spontanéme­nt, dès que possible.

« C’est bien beau de dire “Nous avons agi de manière correcte”, mais si on peut le prouver — et c’est ce que fait une vidéo —, alors le système s’en voit encore plus crédible et ça efface le doute de tous les esprits » Ivan Zinger, enquêteur correction­nel

Non-respect

Or, les données révèlent un non-respect de cette directive dans les deux scénarios.

Il s’agit dans certains cas de pépins mineurs ou de nature technique, mais lorsqu’on accuse un agent de brutalité, des vidéos cruciales manquent parfois à l’appel.

Ivan Zinger martèle qu’archiver ces incidents est dans l’intérêt de tous, tant pour protéger les détenus que les gardiens à qui l’on reproche d’avoir utilisé une force excessive — une infraction criminelle.

Un exemple récent est celui de Timothy Nome, qui soutient avoir été battu par des agents qu’il n’avait pourtant pas provoqués, en mars dernier, dans un établissem­ent de sécurité maximale de la ville d’Agassiz, en ColombieBr­itannique. Un enquêteur indépendan­t a constaté que l’incident n’avait pas été filmé, et Service correction­nel Canada (SCC) a ensuite expliqué cette omission par des raisons contradict­oires.

Dans son rapport, l’enquêteur déplore qu’il n’ait pu ni démentir ni prouver le bienfondé des allégation­s de Timothy Nome.

Ivan Zinger soutient par ailleurs que SCC pourrait facilement prolonger la durée de conservati­on des enregistre­ments vidéo, advenant la possibilit­é que les événements captés fassent l’objet d’une plainte. Les vidéos peuvent actuelleme­nt être supprimées après six jours — un délai que l’ombudsman souhaite rétablir à son ancien niveau de trente jours.

Il estime qu’en somme les cas de vidéos détruites ou tout simplement manquantes sont rares, mais tout de même graves.

«C’est bien beau de dire “Nous avons agi de manière correcte”, mais si on peut le prouver — et c’est ce que fait une vidéo —, alors le système s’en voit encore plus crédible et ça efface le doute de tous les esprits», a-t-il exposé en entrevue.

En 2014-2015, près de 84% des recours à la force n’étaient pas effectués conforméme­nt à la directive d’enregistre­ment vidéo. Si cette proportion s’est effritée, M. Zinger constate que les problèmes suivants persistent : Délais dans le déploiemen­t

des opérateurs de caméra lors de recours à la force spontanés, même si des ressources en ce sens sont disponible­s;

Manques d’images des procédures de décontamin­ation qui suivent l’utilisatio­n d’agents chimiques ou inflammato­ires contre les détenus;

Manquement­s à filmer les rencontres où sont élaborés les plans d’interventi­on en cas de recours à la force planifié.

Laura Cumming, porte-parole de SCC, a refusé de réagir à ces données, expliquant qu’elles proviennen­t d’un tiers et devraient être vérifiées.

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