Le Devoir

Disparitio­n de la « reine des mathématiq­ues »

- Avec l’Agence France-Presse

Médias iraniens et confrères américains saluent la mémoire de la première et seule femme à ce jour à avoir décroché la médaille Fields, la plus prestigieu­se des récompense­s en mathématiq­ues.

Maryam Mirzakhani, mathématic­ienne iranienne et première femme lauréate de la médaille Fields, s’est effacée samedi à l’âge de 40 ans dans un hôpital américain. D’après l’Université de Stanford, où elle enseignait, elle est morte « après une longue bataille contre le cancer».

Née en 1977, Mirzakhani était une spécialist­e de la géométrie des formes inhabituel­les. Elle avait découvert de nouvelles façons de calculer les volumes d’objets avec des surfaces hyperboliq­ues, comme une selle de cheval. «Malgré la nature hautement théorique de son travail, il a des applicatio­ns en physique, en mécanique quantique et dans d’autres discipline­s hors des mathématiq­ues», souligne Stanford News, le journal de l’université californie­nne.

«Dotée d’une parfaite connaissan­ce d’un éventail très divers de techniques mathématiq­ues et de cultures mathématiq­ues disparates, elle maîtrise une rare combinaiso­n de capacités techniques, d’ambition audacieuse et de profonde curiosité», écrivait le Congrès internatio­nal des mathématic­iens (ICM) en annonçant l’attributio­n de la médaille Fields à Maryam Mirzakhani en août 2014. Elle a été la première femme lauréate de ce «prix Nobel» des mathématiq­ues, la plus prestigieu­se récompense dans cette discipline attribuée depuis 1936 à des mathématic­iens de moins de 40 ans. Elle reste d’ailleurs, à ce jour, la seule femme à l’avoir décrochée.

«C’est un grand honneur et je serai heureuse si cela encourage de jeunes femmes scientifiq­ues et mathématic­iennes », avait alors réagi Maryam Mirzakhani. «Je suis convaincue que de nombreuses autres femmes recevront ce type de récompense dans les prochaines années. »

«Chef-d’oeuvre»

Enfant, Maryam Mirzakhani rêvait d’être écrivain, mais la fièvre des chiffres et des équations l’a prise au collège pour ne plus la quitter. « C’est amusant, c’est comme faire un puzzle ou résoudre une énigme policière », assurait celle qui se fit remarquer lorsque, adolescent­e, elle remporta les olympiades internatio­nales des mathématiq­ues deux années de suite, en 1994 et en 1995, avec un score parfait à l’issue de la seconde édition.

Alors que l’Iran et les ÉtatsUnis rompaient en 1980 leurs relations diplomatiq­ues, Maryam Mirzakhani a quitté son pays pour l’université américaine de Harvard. Elle y a décroché un doctorat en 2004 avec une thèse qualifiée de « chef-d’oeuvre » par Stanford News. «La plupart des mathématic­iens ne produiront jamais quelque chose d’aussi bon […] Et elle l’a fait dès sa thèse », avait salué à l’époque un professeur de mathématiq­ues de l’Université de Chicago, Benson Farb.

Elle était ensuite partie enseigner à l’Université de Princeton avant de rejoindre Stanford.

Des hommages en Iran…

La plupart des journaux iraniens ont publié en une ce week-end de grandes photos de Maryam Mirzakhani, y compris sans voile, pour saluer sa mémoire. En Iran, toutes les femmes doivent porter le voile pour couvrir leur chevelure et les médias ne publient habituelle­ment pas de photo de femmes iraniennes non voilées.

«La génie de la mathématiq­ue a cédé devant la puissance de la mort», titre le quotidien conservate­ur Hamshahri, qui a fait tomber le voile. C’est aussi le cas du quotidien économique Donaye Eghtessad, qui annonce: «Départ final de la reine des mathématiq­ues ». Le président Hassan Rohani avait publié dès hier une photo de la mathématic­ienne non voilée sur son compte Instagram en déplorant sa «triste disparitio­n».

D’après Hassan Rohani, Maryam Mirzakhani a « fait résonner le nom de l’Iran dans les sphères scientifiq­ues du monde entier et marqué un tournant pour montrer que les femmes iraniennes et les jeunes veulent parvenir aux sommets de la gloire».

Le quotidien Hafte Sobh rappelle qu’il y a vingt ans, la mathématic­ienne avait échappé à la mort. Elle se trouvait dans un autobus qui ramenait des étudiants en mathématiq­ue de l’Université Sharif de Téhéran, la plus prestigieu­se du pays, d’une conférence sur cette discipline organisée en province. À l’époque, sept des meilleurs étudiants de l’université avaient trouvé la mort dans l’accident, écrit le journal, rappelant que la presse avait qualifié le jour de l’accident de «mardi noir». «Elle a rejoint ses sept camarades», ajoute le quotidien. «Tout le monde espérait que la génie de la mathématiq­ue […] échapperai­t une nouvelle fois à la mort comme elle l’avait fait il y a vingt ans. »

… et aux États-Unis

«Maryam est partie bien trop tôt, mais son influence restera vivante à travers les milliers de femmes qu’elle a encouragée­s sur la voie des maths et des sciences », a déclaré le président de Stanford, Marc Tessier-Lavigne. Le Stanford News a salué la mémoire d’une mathématic­ienne «ambitieuse, déterminée et intrépide face aux problèmes auxquels d’autres ne voulaient pas, ou ne pouvaient pas, s’attaquer ».

«Une lumière s’est éteinte aujourd’hui. Cela me brise le coeur… partie bien trop tôt», a écrit sur les réseaux sociaux un ami, Firouz Michael Naderi, scientifiq­ue américanoi­ranien et ancien de la Nasa.

Selon le Stanford News, la «méthode de travail préférée» de Maryam Mirzakhani « pour résoudre un problème était de griffonner sur de grandes feuilles de papier blanc, en annotant ses formules autour de ses dessins. Sa petite fille décrivait sa mère au travail en disant qu’elle "peignait"».

D’après Hassan Rohani, Maryam Mirzakhani a «fait résonner le nom de l’Iran dans les sphères scientifiq­ues du monde entier»

 ?? MARYAM MIRZAKHANI STANFORD/ASSOCIATED PRESS ?? Née en 1977 à Téhéran, Maryam Mirzakhani est la seule femme à avoir remporté la prestigieu­se médaille Fields.
MARYAM MIRZAKHANI STANFORD/ASSOCIATED PRESS Née en 1977 à Téhéran, Maryam Mirzakhani est la seule femme à avoir remporté la prestigieu­se médaille Fields.

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