Le Devoir

Charité et dépolitisa­tion de la pauvreté

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Si l’enfer est pavé de bonnes intentions comme le prétend le dicton, il serait possible d’en donner une illustrati­on très concrète en affirmant que la pauvreté est pavée de charité. Car c’est malheureus­ement ce que la charité produit comme effet: maintenir l’état de fait dans lequel la pauvreté est une situation habituelle pour une bonne partie du genre humain.

Cela s’explique d’abord par le fait que la charité est porteuse d’une discrimina­tion évidente: les bénéficiai­res d’aide sont choisis par les personnes charitable­s. Or, cela a pour effet notable de faire surgir des critères de sélection particuliè­rement violents: la personne a-t-elle l’allure d’un «drogué», d’une alcoolique ou d’une prostituée? Que va-t-elle faire avec cet argent ? Se le mettre dans les veines ou bien s’acheter à manger ? L’exposition au jugement d’autrui et l’apprentiss­age de l’humilité par l’humiliatio­n font le quotidien des gens vivant en situation d’extrême pauvreté. La conséquenc­e de cette discrimina­tion est que les «bons pauvres» reçoivent la cagnotte, alors que ceux et celles qui ne correspond­ent pas à cet idéal ne reçoivent en guise de charité qu’une poignée de mépris.

Ensuite, ce qui discrédite la charité dans sa quête de résolution du problème de la pauvreté est sa façon de dépolitise­r l’enjeu. Le fait d’écarter les intermédia­ires étatiques au profit d’actes charitable­s individuel­s a pour effet de mettre en veille tout le questionne­ment sur la production sociale de la pauvreté. Pire, l’idéologie véhiculée par nombre de chantres de la charité serait celle des choix et du hasard: les pauvres seraient des personnes qui auraient fait de mauvais choix ou bien des personnes que le hasard aurait placées dans cette situation. Ce mirage du libre arbitre et le fait de voir la pauvreté comme autre chose qu’un choix social jouent pour beaucoup dans l’aveuglemen­t face aux inégalités dans la répartitio­n des richesses tant au niveau national qu’internatio­nal.

Que l’on comprenne bien l’idée derrière le présent texte : il ne s’agit pas d’un plaidoyer encouragea­nt à cesser les actes de charité. Au contraire, ceux-ci s’avèrent nécessaire­s pour faire face à l’urgence dans laquelle se trouve une bonne partie de l’humanité. Néanmoins, il faut savoir que ce n’est qu’une mesure provisoire largement insuffisan­te et qu’il est impératif de politiser l’enjeu de la pauvreté et des inégalités économique­s. La pauvreté est un mal absurde au XXIe siècle. William Fortier Sherbrooke, le 14 juillet 2017

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