Marc-André Hamelin à déguster en solo !
ORFORD MUSIQUE «Hamelin et le Kuss Quartet: oeuvres monumentales». Beethoven: Quatuor op. 59N° 1 «Razoumovski». Poppe: Freizeit (2016). Brahms: Quintette avec piano opus 34. Marc-André Hamelin (piano), Quatuor Kuss. Salle Gilles-Lefebvre, Orford, samedi 15 juillet 2017.
Après un somptueux récital, vendredi, d’une grande élégance et d’une hauteur de vue aristocratique, concert commenté sur nos plateformes numériques dès samedi, Marc-André Hamelin partageait samedi soir la scène d’Orford Musique avec le quatuor berlinois Kuss, encore peu connu ici.
Pour l’occasion, Orford Musique faisait une nouvelle fois salle comble. Il semble que la programmation, resserrée dans le temps, mais comprenant le même nombre de concerts que les années précédentes, reçoit la faveur du public. D’ailleurs, le tact et la distinction des mots d’accueil du directeur artistique, Wonny Song, qui laisse toute la place aux musiciens, tranchent favorablement par rapport à ce que l’on voit et entend ailleurs.
Le second concert du pianiste québécois n’avait rien à voir avec le premier. Hamelin, qui a une grande expérience de l’Opus 34 de Brahms avec les plus grands quatuors (il vient de le jouer, en mai, à Carnegie Hall avec les Emerson), a déroulé sa partie. Visiblement, personne ne cherchait véritablement à ce que les trains (le pianiste et le quatuor) lancés sur leurs rails visent mieux, en matière d’interaction, qu’un parfait parallélisme.
La présence du piano et de son poids sonore est très confortable pour le quatuor qui, relevant les nuances, peut (relativement) cacher un certain nombre de limites intrinsèques, clairement apparues dans la première partie du concert. L’Opus 34 est toujours impressionnant, mais pour savoir ce qui s’y niche, l’amateur tentera d’écouter les enregistrements des Takacs avec Stephen Hough et des Lindsay avec Peter Frankl.
Si l’on met de côté un divertissement du compositeur contemporain en vogue en Allemagne, Enno Poppe, 14 microvariations sur un thème anodin, avec d’habiles effets de vibration du son, c’est comme d’habitude Beethoven qui a dicté sa vérité sur le Quatuor Kuss.
À l’épreuve du concert (qui diffère de celle du disque), ce quatuor berlinois nous semble avoir une portée strictement locale. Nul doute qu’il est apte à donner de compétents concerts estivaux dans les villes d’eau dont l’Allemagne regorge, mais de là à lui faire traverser l’Atlantique, il y a un pas qu’il était inutile de franchir. On l’a écrit ici, les Hagen et les Auryn ne sont plus à leur acmé, mais cela reste nettement autre chose en matière de cohésion. Quant aux Artemis, ils sont sur une autre planète. Et je ne parle pas des Dover…
Les Kuss, c’est 2+2: les violons d’un côté, l’altiste et le violoncelliste de l’autre. L’altiste William Coleman est de loin le meilleur musicien du groupe. Le violoncelliste beurre un peu épais alors que le son du premier violon Jana Kuss est émacié et aigrelet. Les deux vont donc moyennement ensemble. Le problème du Quatuor Kuss, outre l’absence de symbiose, c’est le manque de charme résultant du son pointu de la violoniste et de son jeu appliqué, ainsi que, dans les interventions individuelles des deux violonistes, la récurrence de petites anicroches.
Ce n’est pas «mauvais» et s’avère même très présentable en apparence, mais cela ne vaut ni le voyage transatlantique ni le détour du mélomane. Pas de quoi épiloguer, donc, pas de quoi les revoir de sitôt… La prochaine fois, on peut se permettre deux concerts avec Marc-André Hamelin ou, pourquoi pas, une soirée à quatre mains.