Singh convaincu de partager les valeurs progressives du Québec
Plusieurs néodémocrates québécois ont beau craindre les périls électoraux d'une élection de Jagmeet Singh à la tête de leur parti, leur collègue Hélène Laverdière n'y croit pas. La députée s'est rangée derrière Jagmeet Singh, qui se dit confiant en entrevue avec Le Devoir qu'il saura convaincre le Québec en démontrant que ses valeurs sont toutes aussi progressistes que celles des néodémocrates de la province.
La députée de Laurier—Sainte-Marie s’est rangée derrière Jagmeet Singh en disant avoir confiance, comme l’aspirant-chef, qu’ils sauront convaincre le Québec de lui emboîter le pas en démontrant que les valeurs de M. Singh sont toutes aussi progressistes que celles des néodémocrates de la province.
Le député et ancien chef adjoint du NPD en Ontario ne se formalise pas des inquiétudes partagées par d’anciens élus néodémocrates avec Le Devoir la semaine dernière.
L’ex-député Pierre Dionne Labelle et d’autres anciens collègues qui préféraient garder l’anonymat ont confié craindre que Jagmeet Singh ne représente un frein pour leur parti au Québec s’il est élu chef du NPD fédéral cet automne.
«C’est leur avis. Ils sont libres d’avoir leur avis », a réagi M. Singh, en entretien pour la première fois depuis ces échos à son endroit. Mais il affirme qu’il ne ressent pas ces réticences sur le terrain. « Mes valeurs sociodémocrates sont les mêmes valeurs progressistes que celles des Québécois, insiste-t-il en entrevue avec Le Devoir. Et j’ai confiance qu’on peut continuer de gagner des appuis au Québec. »
Jagmeet Singh dit compter de nombreux bénévoles dans la Belle Province. Et l’appui d’Hélène Laverdière à sa campagne, annoncé lundi, «montre qu’on a réussi à montrer notre respect, notre amour pour le français et le peuple québécois », plaide-t-il. Mme Laverdière reconnaît toutefois elle-même, dans le communiqué de presse annonçant sa décision, le malaise évoqué par certains anciens élus et stratèges.
«Le rapport qu’ont les Québécois avec la religion est complexe et très différent que celui qu’ont
les autres Canadiens. Mais je pense qu’ils vont être conquis par Jagmeet quand ils vont mieux le connaître et se rendre compte combien ses valeurs et ses aspirations nous ressemblent », faitelle valoir par écrit.
En entretien téléphonique, la députée montréalaise dit comprendre « que des gens puissent avoir des préoccupations. Mais moi, ce n’est pas l’appartenance que je regarde ou les vêtements», argue-telle. «Je regarde les valeurs, les principes des gens.»
Et à ce chapitre, elle martèle à son tour que Jagmeet Singh est au diapason avec le Québec et ses citoyens progressistes. Il suffira, selon elle, pour faire mentir Pierre Dionne Labelle et les autres, de le démontrer. « Je suis convaincue que, quand les gens vont mieux le connaître, ils vont être conquis », assure Mme Laverdière.
Or, un sondage Angus Reid mené à la fin mai révélait que les Québécois sont plus réticents que le reste des Canadiens à appuyer un parti dont le chef porterait des signes religieux ostentatoires. Chez les quelque 1500 Canadiens sondés par la firme de sondages, 56% se disaient prêts à voter pour un parti dont le chef porterait un couvre-chef religieux, contre 36% au Québec. Pour un parti dirigé par une femme portant un couvre-chef religieux, l’appui était à 53% chez les répondants du reste du Canada et à 34% chez les Québécois. Et 63 % des Canadiens se disaient prêts à voter pour un parti dirigé par un sikh, contre 46% au Québec. M. Singh est sikh pratiquant et porte le turban et le kirpan.
Encore là, l’aspirant-chef du NPD rétorque lorsqu’on lui cite ces statistiques que «la question la plus grande, c’est les valeurs. […] Ce n’est pas un très grand obstacle. On peut réussir», répète-t-il, en notant qu’il appuie le mariage de même sexe et le droit à l’avortement des femmes, tandis que le chef conservateur Andrew Scheer s’y est opposé au fil de son parcours politique.
Des positions critiquées
Jagmeet Singh s’est cependant fait le porteur des objections de sa communauté lors de l’implantation d’un cours de sexualité dans les écoles ontariennes. Il réplique qu’il appuyait les changements au curriculum — qui avaient donné lieu à de vifs débats dans la province il y a deux ans —, mais qu’il estimait que le projet n’avait pas été suffisamment expliqué aux communautés culturelles, lesquelles n’avaient pas été assez consultées.
Le député ontarien a en outre parrainé un projet de loi modifiant le Code de la route pour exempter les motocyclistes sikhs de l’obligation de porter un casque. Il s’agit là d’une question de droits, soutient l’avocat de formation, qui voulait «être cohérent» avec l’application de la Charte des droits et libertés en Colombie-Britannique et au Manitoba sur cette question.
Ni l’une ni l’autre de ces positions n’ont été guidées par sa foi, fait valoir Jagmeet Singh. Mais les néodémocrates québécois qui se sont confiés au Devoir expliquaient craindre que ce soit tout le contraire et que la religion ait influencé ses décisions au Parlement ontarien.
Jagmeet Singh semble néanmoins estimer qu’en se présentant aux Québécois et aux Canadiens, et en leur exposant son programme politique et ses valeurs, il saura dissiper ces craintes. «Il y a des défis, mais je garde un bon moral. J’aime réussir malgré les obstacles. »
Mais dans les rangs néodémocrates québécois, on demeure sceptique. Et l’appui de la députée Hélène Laverdière n’y change rien. On estime au contraire qu’elle jauge mal les sentiments des gens sur le terrain. Jagmeet Singh, quant à lui, s’estimet-il simplement victime de racisme? Il refuse de jeter la pierre au Québec, en relatant que sa jeunesse n’était pas non plus facile en Ontario où ses cheveux longs — l’un des symboles du sikhisme — lui attiraient les railleries d’autres enfants.
«Il faut reconnaître que dans notre société, au Canada, le racisme existe. Mais la discrimination existe pour beaucoup de personnes», répond-il.
Le candidat québécois de la course, Guy Caron, a obtenu lui aussi, pour l’instant, l’appui d’une seule députée québécoise, Ruth Ellen Brosseau. Niki Ashton et Charlie Angus n’en comptent pour l’instant aucun chez les élus québécois. Cinq des seize députés du Québec avaient appuyé Peter Julian, avant que celui-ci n’abandonne sa campagne il y a dix jours. Aucun d’entre eux n’a encore choisi de nouveau camp. Les néodémocrates choisiront leur prochain chef au mois d’octobre.