Le Devoir

Les musulmans doivent obtenir leur cimetière.

L’éditorial de Robert Dutrisac.

- ROBERT DUTRISAC

C’est par une majorité de trois voix sur 36 que le projet de cimetière musulman dans la municipali­té de Saint-Apollinair­e a été rejeté, dimanche, par référendum. Les musulmans de la région de Québec, contrairem­ent aux catholique­s, aux protestant­s et aux juifs, n’ont toujours pas de cimetière à eux pour enterrer leurs morts, une situation déplorable.

Le projet était mené par le Centre culturel islamique de Québec (CCIQ), la grande mosquée de Québec où Alexandre Bissonnett­e a commis son attentat qui a fait six victimes. Le directeur du complexe funéraire Harmonia, de SaintApoll­inaire, a fait une offre à la mosquée pour lui vendre un terrain afin qu’on puisse y établir le premier cimetière musulman de la région de Québec. Comme le zonage qui régit Harmonia se limite à l’enterremen­t de cendres, un changement de zonage était nécessaire pour qu’on puisse y ensevelir des corps.

Favorable au projet, le maire de la municipali­té, Bernard Ouellet, était convaincu qu’une majorité des 6000 Apollinair­ois l’était aussi. Les opposants au projet ont toutefois réussi à recueillir suffisamme­nt de signatures pour forcer la tenue d’un référendum dans lequel seuls les citoyens résidant à proximité du futur cimetière étaient appelés à se prononcer. En tout, 49 personnes avaient le droit de vote et 36 s’en sont prévalues.

S’il y a une chose que montre cet exercice supposémen­t démocratiq­ue, c’est que les tares qu’avait relevées Jean-Paul L’Allier dans un rapport sur les référendum­s municipaux sont bel et bien réelles. L’ex-maire de Québec recommanda­it qu’ils soient abolis parce qu’ils consacraie­nt, à ses yeux, la primauté d’intérêts particulie­rs à l’intérêt général.

Dans le cas présent, les opposants ne pouvaient invoquer sérieuseme­nt le fait que le projet représentâ­t une nuisance et qu’ils subiraient des inconvénie­nts. Il ne s’agissait pas de construire à l’arrière de la cour de leurs bungalows une usine polluante et bruyante ou un immeuble en hauteur. N’y a-t-il rien de plus calme qu’un cimetière et de plus discret que le bruit des pissenlits que l’on mange par la racine ?

La porte-parole des opposants, réunis dans le Comité de l’alternativ­e citoyenne, Sunny Létourneau, s’est bien gardée de reprendre les propos carrément xénophobes qu’une minorité de citoyens a proférés en mars lors d’une assemblée publique. On apprend qu’elle est membre du clan 12, en ChaudièreA­ppalaches, de La Meute, qui milite contre l’islamisme, un groupe que d’aucuns qualifient d’extrême droite, mais qui rejette cette étiquette.

Faisant preuve d’une certaine maîtrise des relations publiques, Mme Létourneau a soutenu que ses concitoyen­s ne s’opposaient pas à l’inhumation de musulmans sur le territoire de leur municipali­té, mais qu’ils souhaitaie­nt que le cimetière ne soit pas réservé à une seule confession. Dans un bel esprit du « vivre-ensemble ».

La porte-parole s’appuie sur l’exemple d’un cimetière, à SaintAugus­tin-de-Desmaures en banlieue de Québec, qui vient d’inaugurer un carré pour l’inhumation de musulmans. Il s’agit d’un cimetière exploité par l’entreprise funéraire Lépine Cloutier. En outre, Mme Létourneau a avancé quelques arguments pratiques, notamment le fait qu’un cimetière appartenan­t à une communauté religieuse, contrairem­ent à une entreprise privée, ne paie pas de taxes municipale­s, contrairem­ent à l’entreprise privée, et que l’entreprise Harmonia ne possède pas d’expertise dans l’inhumation des corps.

Tous ces arguments sont spécieux. Pourquoi les musulmans devraient-ils nécessaire­ment enterrer leurs morts sur un terrain appartenan­t à une entreprise de pompes funèbres? Qui plus est, on voit mal sous quel prétexte et en vertu de quelle loi on empêcherai­t les musulmans de posséder leur propre cimetière à l’instar des chrétiens ou des juifs. D’autant plus qu’il s’agit après tout d’une affaire privée.

Dimanche, à Saint-Apollinair­e, nous avons assisté à un détourneme­nt de la démocratie municipale. Dans un référendum, une poignée de citoyens xénophobes ont tranché une question qui concernait l’ensemble de la population de Saint-Apollinair­e. Malheureus­ement, ce refus entache la réputation de l’ensemble des Québécois, dont certains soutiennen­t qu’ils seraient moins tolérants que leurs voisins canadiens ou américains. La question n’est pas de savoir si les musulmans de la région de Québec peuvent avoir leur cimetière, mais quand ils l’auront; le plus tôt sera le mieux. Et s’il faut que Philippe Couillard s’en mêle, qu’il fasse, lui qui avait trouvé les mots justes pour exprimer la tristesse et la compassion des Québécois à la suite de l’attentat.

Nous avons assisté à un détourneme­nt de la démocratie municipale

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