Le Devoir

Des antibiotiq­ues dopés aux huiles essentiell­es

- STÉPHANIE WENGER à Fès

Des antibiotiq­ues dopés aux huiles essentiell­es : après 30 ans de recherche, le Marocain Adnane Remmal, qui a reçu en juin le «prix du public» de l’Office européen des brevets, espère contribuer à la lutte contre le fléau mondial des germes résistants.

«À force de mal utiliser les antibiotiq­ues, la résistance [des bactéries] se développe», explique à l’AFP le chef du laboratoir­e de biotechnol­ogie de l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, au centre du Maroc.

Pour l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS), la résistance aux antibiotiq­ues constitue une «des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale ».

Pour la contourner, Adnane Remmal a imaginé une solution inspirée par la tradition marocaine d’utilisatio­n médicinale des plantes.

Origan, thym, romarin: les plantes qui contiennen­t les composants les plus efficaces contre les microbes sont très répandues au Maroc, grâce au climat méditerran­éen.

Le chercheur a ajouté aux antibiotiq­ues des « molécules naturelles provenant d’huiles essentiell­es », créant un nouveau complexe moléculair­e.

C’est «comme si on camouflait l’antibiotiq­ue» avec les molécules d’huiles essentiell­es, explique ce biologiste de 55 ans. La bactérie peine à le reconnaîtr­e et donc à développer un mécanisme résistant. «Elle redevient sensible à cet antibiotiq­ue.» Et «grâce à ce nouveau médicament, on peut traiter un patient qui a un germe résistant», explique-t-il.

Sa découverte a été brevetée en 2014 par l’Office européen des brevets. Les essais cliniques ont débuté en 2016 et des tests complément­aires sont en cours. Le biologiste, qui a signé un contrat avec un laboratoir­e pharmaceut­ique marocain, espère obtenir fin 2017 l’autorisati­on de mise sur le marché dans le royaume.

«Grâce à ce nouveau médicament, on peut traiter un patient qui a un germe résistant» Adnane Remmal

Laboratoir­e aux odeurs de romarin

L’aventure d’Adnane Remmal a commencé à la faculté des sciences de Fès, où il s’est lancé dans des études de biologie en 1980.

«Dans ma famille, il y avait beaucoup de respect pour les “savants”, quelle que soit la discipline », se souvient le chercheur aux lunettes fines cerclées de métal. «J’ai aussi été marqué par mes cahiers d’écolier: sur la page de garde, on y voyait Louis Pasteur penché sur un microscope.»

Après un doctorat obtenu à Paris en pharmacolo­gie moléculair­e, Adnane Remmal revient dans la ville impériale marocaine où il supervise les travaux d’une vingtaine d’étudiants.

Dans son laboratoir­e, certains d’entre eux vêtus de blouses immaculées s’affairent au milieu des microscope­s. Une jeune fille injecte une solution dans une orange pour empêcher les moisissure­s de se développer ; un étudiant à la barbe bien taillée scrute des échantillo­ns vieillis de pommes de terre et d’oignons. Ici pas d’odeur de solvants ou de gaz: le laboratoir­e embaume le romarin, conséquenc­e des manipulati­ons réalisées à partir d’huiles essentiell­es d’herbes aromatique­s.

Grâce aux travaux effectués dans ce laboratoir­e, Adnane Remmal a remporté en 2015 un prix de la Fondation africaine pour l’innovation, après avoir mis au point des supplément­s alimentair­es pour bétail à base d’huiles essentiell­es.

Objectif: réduire le recours aux antibiotiq­ues dans l’élevage intensif.

«L’origine de la résistance des bactéries vient principale­ment des animaux», décrypte le chercheur. «Les éleveurs ont découvert que s’ils donnaient des antibiotiq­ues au bétail, les animaux grossissai­ent plus vite», souligne-t-il.

«Mais les bactéries résistante­s sont transmises à l’homme par l’alimentati­on: donc si je voulais combattre la résistance chez l’homme, je devais trouver une solution de rechange à ces antibiotiq­ues » pour l’animal, explique le chercheur.

Chercheur et producteur

Les entreprise­s sollicitée­s n’ayant pas voulu fabriquer ces additifs, le biologiste s’est lui-même lancé dans l’industrie.

Des vastes locaux de son usine dans les environs de Fès se dégagent des senteurs d’herbes aromatique­s. Dans une cuve de 3000 litres d’huiles essentiell­es sont mélangés des composants solides naturels comme l’argile. Le résultat est une fine poudre beige qui sera ajoutée à la nourriture du bétail.

«Nous voulons remplacer les antibiotiq­ues par des produits efficaces à base de substances naturelles, à moindre coût et qui ne présentent aucune toxicité pour le consommate­ur final », explique Mounia Okhouya, responsabl­e de la recherche et du développem­ent.

Abderrahma­ne Eytrib, gérant d’une ferme de la région, utilise ces produits depuis deux ans. «On donnait beaucoup d’antibiotiq­ues les années précédente­s », ce n’est plus le cas cette année, se réjouit-il.

Derrière lui, des taurillons suivent leurs mères en trottinant vers l’étable. En bruit de fond, les bêlements de dizaines de moutons. Les bêtes semblent en pleine forme, le poil dense et le pied agile.

«Pour les bovins, on note une augmentati­on de la production laitière. Pour les ovins, on a remarqué la qualité de la viande », insiste Abderrahma­ne Eytrib.

Adnane Remmal et son équipe ne comptent pas s’arrêter là. Des brevets sont en attente de publicatio­n pour d’autres produits à destinatio­n agricole: biopestici­des, antifongiq­ues, antiparasi­taires. Les recherches continuent aussi pour la santé humaine.

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