Le Devoir

Le chemin vers le repos éternel

Au-delà du référendum, regard sur les rites funéraires de la communauté musulmane

- MARIE-LISE ROUSSEAU

Le référendum sur le projet de cimetière musulman qui a eu lieu à Saint-Apollinair­e dimanche a fait couler beaucoup d’encre. Au-delà de cet événement qui a suscité bien des débats au Québec, Le Devoir a voulu en savoir plus sur les particular­ités des rites funéraires musulmans.

Le cas de cette communauté de quelque 300 000 âmes au Québec est unique, selon Yannick Boucher, chargé de cours au Départemen­t d’anthropolo­gie de l’Université de Montréal, qui termine un doctorat sur les rites funéraires musulmans au Québec.

«Il y a déjà une certaine diversité de cimetières dans la province. Il y a des cimetières juifs, catholique­s, protestant­s… Il n’y a que ce cas précis de cimetière musulman qui dérange», affirme celui qui s’était prononcé publiqueme­nt pour le projet de Saint-Apollinair­e.

Qu’est-ce qu’un cimetière musulman, au fait? Il y en a deux sortes au Québec. Un seul cimetière de type confession­nel existe ici, il s’agit du Centre islamique de Laval. Les carrés musulmans constituen­t le deuxième type de sépulture. Il s’agit de portions de cimetières déjà existants qui sont louées à la communauté.

«Les carrés musulmans sont comme une division à l’intérieur d’une entreprise funéraire, avec leurs propres locaux, leurs propres cercueils, leurs propres linceuls», explique M. Boucher.

Le projet de Saint-Apollinair­e est confession­nel, puisque le Centre culturel islamique de Québec en aurait été le propriétai­re. Selon M. Boucher, la communauté musulmane est divisée quant au modèle de cimetière qu’elle souhaite développer.

La présidente et fondatrice de l’Associatio­n de la sépulture musulmane du Québec, Hadjira Belkacem, milite pour le développem­ent des carrés musulmans. «On ne veut pas que les mosquées se chargent des cimetières, parce que ceux-ci seraient alors entièremen­t réservés aux membres de ces congrégati­ons et non à l’ensemble de la communauté», explique-t-elle.

Dans tous les cas, les musulmans du Québec sont dans l’obligation de respecter les lois qui encadrent les pratiques funéraires, même si elles entrent en contradict­ion avec deux de leurs traditions.

En effet, selon les rites musulmans, le corps doit être enterré à même le sol, orienté vers la Mecque, après avoir été lavé et enveloppé dans un linceul. «On ne peut pas enterrer un corps sans cercueil au Québec, c’est illégal», note l’anthropolo­gue.

Par ailleurs, «on ne peut pas faire embaumer les corps dans la tradition musulmane», explique-t-il. Or, la loi québécoise stipule qu’il faut embaumer un corps au plus tard 18 heures après le décès, question de santé publique.

De plus en plus d’inhumation

Alors qu’environ les deux tiers de la communauté musulmane rapatrient leurs morts dans leur pays d’origine, de plus en plus de musulmans optent pour l’inhumation, constate M. Boucher. «Je le vois sur le terrain», affirme-t-il.

Pourquoi donc? Aux yeux de l’expert, il s’agit d’une question d’intégratio­n. Les familles qui se sont installées au Québec ces dernières années choisissen­t de plus en plus souvent d’y enterrer leurs morts, car leurs enfants et leurs petits-enfants ont leur vie ici. «L’image est forte: je donne mon corps à la terre du Québec pour que mes enfants s’y enracinent et s’y intègrent», illustre M. Boucher.

La distance qui sépare les défunts et leur pays d’origine entre aussi en ligne de compte. Selon le poids de la dépouille et sa destinatio­n, cette option peut coûter jusqu’à 15 000 $, estime l’anthropolo­gue.

Cette tendance à l’inhumation crée un besoin d’espace pour enterrer les corps des pratiquant­s au Québec, souligne Mme Belkacem, qui souhaitera­it ouvrir un carré musulman dans chaque région du Québec.

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