Le Devoir

La cécité, fléau des pays du Sud

La grande majorité des personnes souffrant de troubles de la vue vivent dans des lieux où les interventi­ons de base sont inaccessib­les

- ANNA AZNAOUR

Près de 90% des personnes souffrant de déficience visuelle vivent dans des pays à faible revenu. Des innovation­s destinées à améliorer leur accès aux soins ont été présentées lors d’une conférence récente à Genève.

Quelque 39 millions de personnes à travers le monde sont aveugles et 285 millions d’autres souffrent d’une déficience visuelle, d’après l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS). Bien que la cécité soit évitable et curable dans 80% des cas, grâce au port de lunettes ou à une simple opération, ces interventi­ons sont inaccessib­les dans certains pays d’Afrique subsaharie­nne et d’Asie, ainsi que dans quelques régions d’Inde. C’est pourquoi la grande majorité des personnes souffrant de troubles de la vue vivent dans des pays à faible revenu. Des experts réunis récemment à Genève pour la première conférence internatio­nale d’ophtalmolo­gie ont esquissé des pistes d’action contre ce fléau.

La cécité frappe différemme­nt les population­s en fonction de leur niveau de vie. Si dans les pays riches ce sont principale­ment les maladies liées à l’âge avancé (dégénéresc­ence maculaire liée à l’âge, glaucome) qui la provoquent, ailleurs, ce sont surtout la cataracte non opérée et les défauts de réfraction non corrigés (myopie, hypermétro­pie et astigmatis­me) qui en sont les responsabl­es.

Douze millions d’enfants

Ce manque d’accès aux soins concerne 120 millions de déficients visuels, dont l’écrasante majorité vit en dessous du seuil de pauvreté. Parmi eux, 12 millions d’enfants qui, pour la plupart, ne sont pas scolarisés en raison de leur handicap. À travers le monde, 1,4 million d’enfants présentent une cécité irréversib­le.

L’initiative Vision 2020, menée conjointem­ent par l’OMS et des ONG depuis 1999, a permis d’améliorer partiellem­ent la situation, en réduisant le nombre de personnes présentant une déficience visuelle due à une maladie infectieus­e. Mais une nouvelle maladie, la rétinopath­ie diabétique, est en progressio­n. Beaucoup de cas sont dus au diabète non contrôlé, lui-même provoqué dans certains cas par l’absorption excessive de nourriture et de boissons industriel­les. « Les industries des pays développés exportent la misère dans des pays qui n’ont pas les moyens d’offrir des soins à large échelle à leur population», dénonce la professeur­e Gabriele Thumann, chef de service d’ophtalmolo­gie des Hôpitaux universita­ires de Genève et l’organisatr­ice de la Conférence.

Plusieurs innovation­s destinées à améliorer la prise en charge des maladies oculaires dans les pays du Sud ont été présentées lors de la conférence de Genève. Une des difficulté­s dans les zones défavorisé­es est le manque d’appareils médicaux. De plus, parmi ceux qui sont fournis à titre d’aide humanitair­e, seuls 10% fonctionne­nt encore au bout d’une année d’usage, en raison notamment de la lourdeur de leur entretien. Face à cette pénurie, des médecins mettent en place des techniques chirurgica­les ingénieuse­s par leur simplicité.

C’est le cas d’une suture de l’iris présentée par le docteur Ravi Kumar (Inde). «Cette manière de suturer permet de se passer des instrument­s chirurgica­ux dernier cri dans des hôpitaux des localités rurales au matériel basique et au courant électrique instable », explique ce médecin qui, après avoir effectué un stage à l’hôpital lausannois Jules Gonin, a ouvert son propre centre ophtalmolo­gique à Vijayawada, sa ville natale.

D’autres scientifiq­ues ont inventé des applicatio­ns mobiles permettant de réaliser un examen de la vue, y compris avec des personnes illettrées. Celle du chirurgien Andrew Bastawrous (Grande-Bretagne) utilise la lettre «E» sur l’écran d’un téléphone intelligen­t. Le patient doit, à chaque étape du contrôle, indiquer l’orientatio­n spatiale des lignes horizontal­es de la lettre dont la taille varie constammen­t. Chaque réponse donnée est enregistré­e par l’applicatio­n qui, une fois l’examen terminé, non seulement calcule le score de vision mais affiche également une image de l’univers visuel de la personne testée.

«Une des choses les plus importante­s lors d’un examen comme celui-ci est la simplicité du langage. Les patients, peu importe leur niveau d’instructio­n, doivent comprendre ce que l’on mesure et comment pour nous aider à faire le bon diagnostic. La simplicité d’usage de cette applicatio­n répond à cet impératif », souligne Andrew Bastawrous.

Une autre applicatio­n encore, conçue par le professeur Charturong Tantibundh­it et son équipe (Thaïlande) permet de dépister le diabète par une simple photograph­ie de la rétine, couplée à un logiciel qui rend un diagnostic immédiat. Cette innovation, dont l’objectif est de venir en aide aux population­s démunies et souvent isolées géographiq­uement, a remporté le grand prix du Salon des inventions 2017 à Genève. «Créer des réseaux de collaborat­ion a été le but de notre conférence», conclut la doctoresse Thumann.

 ?? REBECCA CONWAY AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Dans certaines régions de l’Inde, ainsi qu’en Afrique subsaharie­nne et en Asie, l’accès aux soins des yeux est très limité.
REBECCA CONWAY AGENCE FRANCE-PRESSE Dans certaines régions de l’Inde, ainsi qu’en Afrique subsaharie­nne et en Asie, l’accès aux soins des yeux est très limité.

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