Le Devoir

Le français, une langue officielle malmenée

- ROMAIN GAGNÉ Québec

Encore une fois, le gouverneme­nt fédéral vient s’excuser pour avoir malmené la langue française dans ses communicat­ions écrites. Lors du dernier gala de remise des Prix du Gouverneur général pour les arts du spectacle, le compte Twitter officiel de cette institutio­n a commis des fautes grossières dans sa descriptio­n des événements. La Fondation des Prix du Gouverneur général s’est excusée et la ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, s’est engagée à faire respecter la Loi sur les langues officielle­s.

Décidément, le gouverneme­nt fédéral souffre d’une ahurissant­e compulsion de répétition d’excuses relativeme­nt au manque de respect de sa Loi. En guise d’explicatio­n, on invoquera le manque de temps, le fait que l’erreur est humaine ou, plus désolant encore, on pointera les limites des logiciels de traduction. J’ignore si l’auteur des fautes s’est servi du nouvel outil de traduction automatiqu­e déployé par le Bureau de traduction, mais si c’est le cas, on pourra conclure que cet outil ne s’est vraiment pas amélioré. En effet, dès son lancement au printemps 2016, il multiplia les erreurs, dont celle-ci : «To decline our invitation» devenait «diminuer notre invitation». Interrogé sur ces problèmes de traduction, le député libéral d’Hull-Aylmer, où se trouve le Bureau, Greg Fergus, déclarait que son parti est celui de la politique des langues officielle­s, et il s’attend à ce « qu’on adresse cette question [sic] comme il faut ». Très rassurant! La directrice générale du Bureau, Donna Achimov, précisait, elle, que les gens peuvent toujours faire des plaintes. Belle affaire!

Au mois de mai de cette année, autres excuses: le bureau de la ministre de la Francophon­ie, Marie-Claude Bibeau, reconnaiss­ait, à la suite d’une lettre d’une citoyenne, que « la situation était inacceptab­le » sur le plan de la qualité de la langue française dans ses communicat­ions aux citoyens et promettait d’y voir.

Stéphane Dion, dans une allocution du 19 juin 2015 («L’avenir du français au Canada»), affirmait que «le gouverneme­nt fédéral doit faire progresser le bilinguism­e dans sa fonction publique et considérer la maîtrise des deux langues officielle­s comme une compétence nécessaire pour les postes de responsabi­lité supérieure y compris, bien sûr, le poste de vérificate­ur général ou celui de ministre des Affaires étrangères ».

Quelle ironie! Une des raisons officieuse­s avancées pour expliquer la chute du ministre en 2017 fut précisémen­t ses difficulté­s… en anglais. À quand la démission de ministres anglophone­s unilingues ?

Respect du français

Même le Bureau du Conseil privé n’est pas en reste quant au peu de respect du français. La première version française des notes biographiq­ues du premier ministre accessible­s sur son site web officiel comportait en effet cinq fautes en 500 mots, selon deux linguistes expertes consultées par La Presse, édition du 31 mai 2017. Le cabinet du premier ministre avait reconnu que ces fautes étaient inacceptab­les et que «la qualité de la langue française était une priorité pour notre gouverneme­nt ». Mais des interventi­ons du premier ministre lui-même à la période des questions soulèvent un doute sérieux sur le respect de cette priorité: « Ils [les conservate­urs] ont truqué les numéros» pour «Ils ont manipulé les chiffres» ou encore «il ne faut pas favoriser la croissance au coût de l’environnem­ent » pour «il ne faut pas favoriser la croissance au prix de l’environnem­ent ».

On pourrait multiplier ces exemples désolants. Ne voir que de simples anecdotes dans ces « étranges » phrases constitue même le symptôme le plus révélateur du mépris du français au sein du gouverneme­nt. Non seulement viole-t-on, par le peu d’importance attachée à cette langue, la Loi sur les langues officielle­s, et ce, au plus haut niveau institutio­nnel, mais on vient saper le travail des enseignant­s et des parents qui s’appliquent quotidienn­ement à transmettr­e à leurs enfants la maîtrise de la langue française!

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