Québec doit prendre ses responsabilités
imanche dernier, à Saint-Apollinaire, 19 citoyens ont suffi pour tuer dans l’oeuf le premier projet de cimetière musulman dans la grande région de notre capitale nationale. On pourrait légitimement se poser plusieurs questions. Par exemple, puisqu’il existe déjà dans la région de Québec des cimetières catholiques, orthodoxes et juifs, pourquoi est-il si important pour la présidente du «camp du non » de créer un « cimetière multiconfessionnel » plutôt qu’un cimetière musulman? Ou encore, quel rôle ont joué les membres du groupe identitaire islamophobe « la Meute » dans la mobilisation contre le projet? On pourrait aussi réfléchir à la pertinence, dans une démocratie, de l’utilisation du référendum pour statuer sur les droits des minorités. Mais en se focalisant sur la conjoncture locale du fiasco, on ferait l’erreur de passer à côté de l’essentiel: ce qui s’est passé dimanche à Saint-Apollinaire doit être vu et traité comme une conséquence du racisme systémique sur le plan national.
Racisme systémique
Nos institutions publiques ont créé et entretenu un problème par les politiques qu’elles ont mises en place. Rappelons encore une fois que cela ne veut pas dire que les fonctionnaires ou les élus à l’origine de ces politiques sont racistes. Citons la définition parfaitement claire donnée par le gouvernement de l’Ontario : « Le racisme systémique se manifeste lorsqu’une institution, ou un ensemble d’institutions agissant conjointement, crée ou maintient une iniquité raciale. Cette attitude n’est pas toujours intentionnelle et ne signifie pas nécessairement que le personnel au sein d’un organisme concerné est raciste. »
Et en effet, depuis plus de 25 ans, le Québec a fait le choix politique d’accorder la priorité à une immigration francophone, souvent ressortissante de régions à majo- rité musulmane telles que le Maghreb ou l’Afrique de l’Ouest. Or, pendant cette période, alors que nos gouvernements successifs parlent de régionalisation de l’immigration afin de contrer la dévitalisation de nos régions, aucun plan stratégique n’a inclus de plan d’aménagement du territoire à l’échelle provinciale pour que les nouveaux arrivants de confession musulmane puissent disposer de lieux de culte ou de cimetières. Au contraire, le gouvernement provincial a fait l’autruche face aux conséquences prévisibles de ses propres politiques en se cachant derrière le principe de séparation entre les pouvoirs provincial et municipal. Mais face à l’ampleur croissante du phénomène, on est en droit de se demander à partir de combien de municipalités touchées on commencera à parler de problème national justifiant une réponse globale.
Pour mémoire, à Mascouche et à Terrebonne, si rien ne change, les musulmans n’auront jamais de lieu de culte puisque ces deux villes n’autorisent plus de nouveaux lieux de culte et que ceux qui existent se limitent à des églises. À Shawinigan, on se souvient de la mosquée dont l’ouverture a été d’abord interdite par le conseil municipal pour ensuite être acceptée après l’intervention de… l’entreprise CGI. À Ahuntsic, la population locale a refusé aux minorités musulmanes, par voie référendaire, le droit de jouir d’un lieu de culte. À Saint-Laurent, après le succès d’une mobilisation citoyenne pour demander la régularisation d’une mosquée, le maire a pris conscience des changements démographiques dans sa circonscription et de la nécessité de revoir sa politique de zonage. Les exemples d’injustice dans la gestion des droits des minorités musulmanes sont innombrables pour le seul enjeu des lieux de culte et des cimetières, qui ne sont qu’un aspect de la citoyenneté mais agissent comme un révélateur.
À problème national, réponse globale
Il est évident que le problème dont il est question est national, qu’il perdure depuis des années et qu’il est appelé à empirer si rien n’est fait, d’autant plus que les régions sont toujours en forte demande de main-d’oeuvre immigrante. Or, après trois années au pouvoir, notre gouvernement ne semble pas être prêt à prendre ses responsabilités et continue à se cacher derrière la séparation des pouvoirs municipal et provincial. Le problème est que cet argument est fallacieux et ne fait que mettre en lumière le manque de leadership politique du gouvernement en place. En effet, contrairement à la séparation stricte entre les paliers fédéral et provincial, le pouvoir municipal est en réalité une émanation du pouvoir provincial, une sorte de délégation de pouvoirs. Le gouvernement continue d’ailleurs régulièrement à définir les contours de ce pouvoir municipal, comme récemment avec l’extension des domaines de compétence de Montréal et de Québec ou encore avec la modification des conditions de recours au référendum municipal.
En conclusion, plutôt que de laisser les municipalités se débattre avec les conséquences des politiques d’immigration qu’il met en place, notre gouvernement devrait offrir sa collaboration active pour aider à définir et à déployer une stratégie d’occupation du territoire, de régionalisation et de respect des droits des minorités, dont les résultats seraient positifs pour l’ensemble des Québécoises et des Québécois.