Le Devoir

Plaidoyer pour des primaires ouvertes

- ÉRIC MONTIGNY Professeur au Départemen­t de science politique de l’Université Laval CHARLES TESSIER Doctorant au Départemen­t de science politique de l’Université Laval

L e choix d’un chef de parti n’est pas un exercice banal. Toute ouverture de ce processus implique la contributi­on d’un nombre toujours plus important d’individus à la sélection du chef. Une primaire est une formule qui remet en question le pouvoir de la direction d’un parti de choisir son chef. Dans le cas d’une primaire fermée, ce pouvoir est conféré aux membres en règle. Pour une primaire ouverte, il est aussi accordé à certains électeurs qui ne sont pas pour autant membres en règle du parti.

Cet article a pour objectif d’expliquer les causes qui favorisent l’adoption d’une formule de primaire ouverte. Les partis politiques sontils ainsi à la recherche d’une légitimité accrue auprès d’un bassin plus large d’électeurs, et ce, dans un contexte de déclin du militantis­me traditionn­el ? En somme, au-delà d’un mimétisme institutio­nnel, existe-t-il des facteurs qui favorisent l’ouverture du processus de sélection des chefs? Au Canada, deux formations politiques ont connu un débat sur l’intégratio­n de primaires ouvertes.

Le cas du PLC

Le Parti libéral du Canada fut (PLC) longtemps considéré comme le parti naturel de gouverneme­nt au fédéral. C’est cependant lors des élections générales de 2011 que le PLC subit son plus grand choc. Il termine pour la première fois en troisième position, derrière le Nouveau Parti démocratiq­ue (NPD). Ce choc provoque un exercice de réflexion qui mènera à des modificati­ons importante­s au processus de sélection du prochain chef. Lors d’un congrès du parti tenu en 2012, une nouvelle catégorie

de sympathisa­nts est créée dans l’objectif de permettre d’élargir la base du parti en accordant le droit à une personne appuyant le parti ou un de ses candidats de voter pour le choix du chef.

En incluant les membres et les sympathisa­nts, ce sont donc 104 000 personnes qui se seront prévalues de leur droit de vote lors du choix de Justin Trudeau. En comparaiso­n avec les primaires fermées des courses précédente­s chez les deux autres principaux partis, l’écart s’avère faible sur le plan de la participat­ion. Rappelons que le choix du nouveau chef du NPD reposait sur le vote de 65 000 militants et celui des conservate­urs, sur 93 000 militants. Compte tenu du caractère secret de la proportion de membres versus celui de sympathisa­nts, il est possible de formuler l’hypothèse que le choix du PLC d’établir des primaires ouvertes aura permis de dégager une perception de croissance plutôt que de déclin sur le plan des adhésions.

Le cas du PQ

Au Québec, le concept de primaires ouvertes fait son entrée dans le débat public à la suite de la défaite du Parti québécois (PQ) à l’élection du 7 avril 2014. Ce dernier obtient alors un de ses pires résultats depuis sa fondation. L’introducti­on de l’idée de primaires ouvertes pourrait donc s’apparenter à un retour aux sources pour un parti qui a été le premier, en 1985, à élire son chef au suffrage universel des membres.

Dans cet esprit, le député péquiste Alexandre Cloutier lance l’idée d’élire le prochain chef suivant un mécanisme de primaire ouverte. Cette suggestion reçoit toutefois un accueil mitigé. Certains craignent une érosion du pouvoir des membres. La Conférence des présidents a finalement tranché, permettant seulement aux membres en règle de participer au choix du prochain chef du parti.

Perte du statut de parti majeur

Après une défaite historique en 2011, le PLC est passé directemen­t d’une formule de vote par des délégués à celle d’une primaire ouverte. Ce changement constituai­t clairement une tentative de relancer le parti sur de nouvelles bases, mais correspond­ait aussi à l’objectif de mettre sur pied de nouveaux outils de mobilisati­on de l’électorat. Même si sa défaite fut l’une des pires depuis sa fondation quant au suffrage exprimé, le PQ a tout de même conservé le statut d’opposition officielle. Sur le plan institutio­nnel, la menace était donc moins élevée au lendemain du scrutin que celle vécue par le PLC.

Quête de légitimité populaire

La mise en place d’une formule ouverte à des sympathisa­nts peut permettre de protéger la légitimité du processus lorsque l’effectif officiel connaît un déclin important. En d’autres termes, l’ajout de sympathisa­nts dans les données officielle­s permet de gonfler le niveau d’adhérents, surtout lorsqu’il est difficile de distinguer les membres des sympathisa­nts. Ainsi, un parti aura davantage de chances de procéder à une réforme menant à une primaire ouverte lorsqu’il sentira que sa légitimité politique pourrait être mise en doute en raison de la faiblesse de son effectif traditionn­el. Ce fut le cas au PLC, mais pas au PQ.

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