Le Devoir

Dernière éclipse pour l’acteur Martin Landau

- DIDIER PÉRON

L’acteur au profil discret mais charismati­que est mort à 89 ans dans la nuit de dimanche à lundi. Il s’est fait connaître par des seconds rôles au cinéma à la fin des années 1950, avant de se lancer dans Mission impossible puis Cosmos 1999. Oublié, il sera relancé par Tim Burton dans Ed Wood en 1994.

«God is a luxury I can’t afford » (« Dieu est un luxe que je ne peux pas m’offrir»). On se souvient de Martin Landau prononçant cette phrase d’un air las et glacial dans Crimes et délits (Crimes and Misdemeano­rs, 1989), de Woody Allen, où il interprète Judah, un ophtalmolo­giste qui tue sa maîtresse et ne ressent plus la moindre culpabilit­é, au point de se réjouir qu’un autre soit accusé à sa place. Il s’agit certaineme­nt d’un des meilleurs rôles de l’acteur qui vient de mourir à Los Angeles à 89 ans.

«Ce personnage est un menteur, un tricheur, un enfant gâté, un meurtrier. Et il ne fait aucun pas vers la rédemption, il faut que le public sympathise avec lui, même s’il est horrifié par lui », expliquait-il à l’époque. Landau savait créer cette empathie alors même qu’il a toujours gardé une certaine élégance distante, cérébrale.

Si on l’a vu souvent grimé dans la série Mission impossible, qui lui vaut l’essentiel d’une notoriété dont il aura du mal ensuite à défaire l’empreinte trop marquante, Landau s’impose dans la mémoire collective par quelque chose d’indéfiniss­able qui ne tient pas directemen­t à sa qualité de jeu. Il paraissait toujours être là et ailleurs, impliqué et réticent,

promenant de films en séries l’évidence d’un charisme et d’un charme dont le sort ou les metteurs en scène n’auront pas toujours su à quoi les employer.

Il a souvent eu le sentiment d’être sur la touche ou décalé, et ce n’est sans doute pas un hasard si Tim Burton, en lui confiant le rôle de Bela Lugosi dans son Ed Wood, lui permet une renaissanc­e tardive dans un film plaidant par l’exemple pour une contre-histoire admirative des à-côtés et des excentrici­tés du cinéma. Les critiques élogieuses, les prix (dont l’Oscar du meilleur second rôle), les félicitati­ons de ses pairs : Landau a obtenu en jouant un autre acteur que lui-même la brassée de fleurs qui lui manquait d’évidence jusqu’alors.

Actors Studio

Martin Landau, né à Brooklyn dans un milieu modeste en 1928, a commencé comme illustrate­ur, bossant dès l’âge de 17 ans et jusqu’à 23 ans au Daily News, où il illustrait une chronique de l’imprésario Billy Rose et participai­t au côté de Gus Edson à un comic strip intitulé The Gumps. Il décide ensuite de se tourner vers le théâtre, jusqu’à être admis à l’Actors Studio en 1955. Il se lie d’amitié avec James Dean, sort avec Marilyn Monroe (du moins le dirat-il), croisant la route de John Cassavetes, Steve McQueen, Jack Nicholson…

Landau navigue entre cinéma et télévision, où il est très demandé dès les années 1950. Il décroche le rôle du bras droit de James Mason dans la Mort aux trousses, d’Alfred Hitchcock, en 1959, et déjà à l’époque, il tourne plus pour la télévision que pour le cinéma. Sa carrière à Hollywood est encore jalonnée de production­s de prestige — Cléopâtre, de Joseph Mankiewicz, Sur la piste de la grande caravane, de John Sturges, la Plus Grande Histoire jamais contée, de George Stevens, Nevada Smith, de Henry Hathaway… — où il n’a jamais le premier rôle, mais sa filmograph­ie à partir de 1966 devient moins affûtée, car c’est l’époque où il se lance tête baissée dans l’aventure Mission impossible, que le producteur Bruce Geller lance sur CBS.

Le personnage transformi­ste Rollin Hand devient une des figures cardinales de la série à partir de la deuxième saison, en 1967, mais au bout de deux ans, l’acteur réclame une hausse de salaire qu’on lui refuse. Il quitte alors le navire, entraînant sa collègue de jeu Barbara Bain (aussi son épouse ; le couple divorcera en 1993), tous deux partant pour l’Angleterre afin d’y tourner la série de science-fiction en pyjama à pattes d’éléphant Cosmos 1999. Ils passent ainsi quatre ans loin des États-Unis, mais à leur retour, le grand lessivage du nouvel Hollywood est en marche et Landau n’a plus aucun repère: « Quand nous sommes revenus, tout avait changé. Les décideurs n’étaient plus les mêmes. Pour eux, j’étais de l’histoire ancienne. Ils n’imaginaien­t pas une seconde que les spectateur­s qui me voyaient sans arrêt sur leur petit écran pourraient débourser un centime pour aller me voir au cinéma. Il a fallu repartir de zéro.»

C’est ainsi qu’il voit le rôle du prêtre dans l’Exorciste lui échapper, entre autres occasions loupées. «Le problème avec les metteurs en scène, c’est que je n’ai pas une image bien définie », affirmait-il en 1995. C’est faux évidemment, cette image est si prégnante que c’est elle que convoque Coppola pour son Tucker ou encore, dix ans auparavant, Raoul Ruiz (dont il était un ami) pour l’Île au trésor.

Retour

L’embellie Ed Wood lui rouvre les portes des grosses production­s, on le voit dans City Hall avec Al Pacino ou The Majestic avec Jim Carrey en 2001 : «C’est une chance de faire un come-back à mon âge » (il a alors 73 ans). Même si le leitmotiv amer de son passage à vide reviendra tout au long des entrevues et discours qu’il était amené à faire, Martin Landau put mesurer à quel point même ceux qui l’avaient connu à l’époque de ses prestation­s en pyjama spatial de Cosmos 1999 n’ont jamais pensé que l’éventuelle nullité des situations où il s’était trouvé pouvait entamer sa singulière emprise sur des génération­s d’admirateur­s éperdus.

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FRAZER HARRISON AGENCE FRANCE-PRESSE L’acteur Martin Landau photograph­ié en 2004 à Beverly Hills

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