Le Devoir

Une simple contravent­ion pour 20 g de trop

Les contrevena­nts hériteront toutefois d’un dossier criminel

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Avis aux citoyens qui comptent s’acheter de la marijuana lorsque celle-ci sera légale: dépasser légèrement les quantités permises ne sera passible que d’une simple contravent­ion, mais l’infraction vaudra aussi au contrevena­nt un dossier criminel et une interdicti­on d’entrée aux États-Unis, a constaté Le Devoir.

En effet, bien que le gouverneme­nt Trudeau souhaite ne faire des légers dépassemen­ts qu’une infraction mineure, les contrevena­nts hériteront encore d’un dossier criminel qui sera partagé avec les autorités américaine­s.

Le projet de loi libéral pour légaliser la marijuana récréative l’an prochain prévoit de permettre la possession de trente grammes de cannabis ou de quatre plants à la maison. Un dépassemen­t de vingt grammes ou de deux plants de marijuana entraînera une contravent­ion de 200$.

Les citoyens qui cultiverai­ent des plants plus gros que la hauteur maximale permise d’un mètre — entre 1 m et 1,5 m — écoperaien­t de la même peine. La condamnati­on criminelle serait inscrite au dossier judiciaire «classé à part des autres dossiers judiciaire­s », mentionne le projet de loi C-45.

«Ce qu’on voulait faire, c’est traiter les cas de certaines infraction­s qui sont mineures d’une façon à part. On ne voulait pas que ces cas-là se rendent au tribunal. On voulait donner à l’individu la possibilit­é d’éviter d’aller en cour. Et pour nous, éviter qu’on se ramasse avec une multitude de cas mineurs devant les tribunaux. Alors, la contravent­ion a été notre solution», expliquait­on au ministère fédéral de la Justice en entretien avec Le Devoir récemment.

L’infraction sera tout de même inscrite, car le fédéral veut conserver une trace pour les gouverneme­nts, les agences de sécurité publique ou encore les recherches universita­ires.

«On voulait quand même offrir une certaine protection aux gens qui ont été accusés d’une in-

fraction vraiment mineure, mais aussi pouvoir s’y donner accès à des fins statistiqu­es», résumait le ministère au Devoir la semaine dernière.

Le dossier personnel des contrevena­nts ne serait pas consulté par les ministères et agences gouverneme­ntales, assurait-on. Mais le ministère de la Justice a été forcé d’admettre qu’il ne savait pas s’il serait en revanche partagé avec les autorités américaine­s à la frontière.

«L’étendue de l’informatio­n que la police va obtenir, c’est difficile à cerner. Parce qu’on n’a pas encore légiféré en la matière », a consenti un haut fonctionna­ire.

La nature des informatio­ns partagées au sein du Centre d’informatio­n de la police canadienne (CIPC) relève d’une décision interne aux corps de police individuel­s. «C’est pour ça qu’il y a une certaine incertitud­e concernant ce que ramasse la police en matière d’informatio­n et ce qu’elle fait avec.»

Déclaré automatiqu­ement ?

Or, la Sûreté du Québec et le Service de police de la Ville de Montréal ont tous deux confirmé au Devoir que toute infraction criminelle était « automatiqu­ement » inscrite dans leurs bases de données et partagée avec le CIPC.

«Les infraction­s criminelle­s sont toutes déclarées », a certifié Josée Perreault, responsabl­e de l’assurance qualité et des statistiqu­es au SPVM.

Le CIPC est géré par la Gendarmeri­e royale du Canada depuis sa création, en 1972. Ses données peuvent être consultées par les corps policiers du pays, de même que le Bureau des douanes et de la protection des frontières des États-Unis, le départemen­t de la Sécurité intérieure et le FBI. En 2007, le Toronto Star rapportait que le CIPC avait été consulté près de 393 000 fois par jour.

Du côté du SPVM et de la SQ, on indique que les informatio­ns permettant d’identifier une personne accusée au criminel y sont répertorié­es: nom, date de naissance, dernière adresse connue. Une personne victime ou témoin d’un crime peut elle aussi se retrouver fichée, si elle a été interrogée par un corps policier.

Le dossier des personnes qui font face à une accusation criminelle est mis à jour lorsqu’il y a plaidoyer de culpabilit­é, condamnati­on ou abandon des accusation­s — ce qui n’efface pas pour autant le dossier.

Si toute infraction criminelle est fichée et partagée avec le CIPC, ce sera donc aussi le cas pour les contrevena­nts possédant un peu trop de marijuana ? «En ce qui concerne les infraction­s criminelle­s, c’est inscrit dans les bases de données, a répondu une porte-parole de la SQ. Mais je ne pourrai pas me prononcer, c’est encore un projet de loi, donc je ne m’avancerai pas à savoir comment ça pourrait fonctionne­r.»

Entrée interdite

Pour l’avocat en immigratio­n Hugues Langlais, il y a peu de doutes qu’un dossier criminel pour possession de marijuana — aussi «mineure» soit-elle aux yeux du gouverneme­nt canadien — garantira l’interdicti­on d’entrée aux États-Unis. Car déjà, ses clients qui ont été accusés d’infraction­s criminelle­s pour alcool au volant ne peuvent pas mettre les pieds en territoire américain. «C’est certain que la drogue est perçue de façon beaucoup plus négative [que l’alcool au volant] par les autorités américaine­s. Ça ne sera pas mieux», prédit-il, puisque toute possession de drogue «constitue un crime de turpitude morale » aux États-Unis. « Dès qu’il y a un dossier criminel pour une infraction, aussi lointaine soitelle, ça devient une interdicti­on d’entrée. »

Bien que la marijuana récréative ait été légalisée dans des États comme l’Oregon, le Colorado ou l’État de Washington, «le droit fédéral américain interdit toute possession de quelque nature que ce soit », rappelle Me Langlais. Le ministre de la Sécurité publique Ralph Goodale a d’ailleurs reconnu n’avoir obtenu aucune garantie de Washington quant aux Canadiens qui tenteraien­t d’entrer aux États-Unis en avouant avoir consommé de la marijuana une fois qu’elle serait légalisée.

À l’heure actuelle, les douaniers peuvent demander aux touristes s’ils ont déjà consommé de la marijuana.

«À partir de l’entrée en vigueur de la loi [légalisant la marijuana récréative au Canada], c’est certain que la question va être posée, estime Me Langlais. Et à partir de ce moment-là, il faut bien se rappeler que l’entrée sur un territoire est un privilège. À partir du moment où c’est un privilège, si j’admets avoir fait quelque chose qui dans la loi nationale de celui qui m’accueille constitue une infraction, il y a un motif raisonnabl­e de me refuser l’entrée. »

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