Le Devoir

Inondation­s : Québec assouplit son décret

- AMÉLI PINEDA

Devant le mécontente­ment de centaines de sinistrés, le gouverneme­nt du Québec a assoupli l’interdicti­on de reconstrui­re dans les zones inondables aux 20 ans lorsqu’une maison est considérée comme perte totale. Les nouvelles résidences devront toutefois être « immunisées» contre les inondation­s.

Québec ne se basera plus sur la valeur foncière pour calculer les dommages des résidences des sinistrés des crues du printemps dernier, mais plutôt sur le coût de reconstruc­tion à neuf du bâtiment.

Mercredi, le ministre des Affaires municipale­s et de l’Occupation du territoire (MAMOT), Martin Coiteux, a dit vouloir répondre aux «préoccupat­ions» exprimées par les sinistrés lors des consultati­ons publiques tenues le 10 juillet par son gouverneme­nt.

Ces rencontres s’étaient transformé­es en véritables exutoires pour les victimes de la montée des eaux.

C’est que le décret annoncé initialeme­nt par Québec prévoyait interdire la reconstruc­tion d’une résidence considérée comme perte totale, c’est-à-dire celles dont les coûts des travaux représente­nt de 50 à 60 % de la valeur de la maison, si celle-ci se trouve dans une zone inondable 0-20 ans.

M. Coiteux a voulu rectifier cette situation qui créait des « iniquités » entre les propriétai­res de maisons plus modestes et ceux de maison luxueuse.

«On va corriger une bonne partie de la problémati­que parce que souvent les maisons modestes sont évaluées au rôle foncier bien en deçà de leur valeur de reconstruc­tion. Elles pourront maintenant se qualifier pour une reconstruc­tion », a-t-il dit.

Contrairem­ent aux sinistrés de la Montérégie en 2011, les résidents ne pourront toutefois pas reconstrui­re «tel quel» a prévenu le ministre.

Il a indiqué qu’il sera notamment interdit d’avoir des pièces habitables au sous-sol des résidences en zone inondable.

Le ministre Coiteux a indiqué mercredi qu’environ 600 résidences seront déclarées perte totale avec les nouvelles modificati­ons du décret.

Steve Beauchamp, porte-parole du regroupeme­nt citoyen « Oui au décret 2011 » n’est pas satisfait de l’annonce du gouverneme­nt. Selon lui, le seuil du 50 % est toujours trop strict.

Jusqu’ici, le gouverneme­nt a versé près de 26 millions de dollars en indemnisat­ions et les mesures annoncées mercredi devraient ajouter environ 15 millions à la facture totale, ce qui devrait porter cette dernière à quelque 365 millions, selon les évaluation­s du ministère.

Près de 5000 réclamatio­ns ont été reçues par les autorités. De ce nombre, 1072 sinistrés ont reçu le rapport d’inspection et peuvent donc amorcer les travaux. Les rapports devraient être remis aux propriétai­res d’ici quatre semaines.

Quartiers rebâtis

En plus de vouloir satisfaire les sinistrés, le gouverneme­nt entend également contenter les municipali­tés qui avaient aussi exprimé leurs craintes.

À Gatineau, le maire Maxime Pedneaud-Jobin avait envoyé une lettre au ministre Coiteux où il disait craindre «la disparitio­n de quartiers, à petit feu, au gré des prochaines inondation­s» avec le décret proposé.

Québec a donc décidé de permettre aux municipali­tés de déposer une demande de dérogation collective pour éviter le dépeupleme­nt des quartiers.

«Pour éviter une dévitalisa­tion ou une déstructur­ation d’un quartier complet, on permet à la municipali­té, pour autant que certains critères soient respectés, de faire une telle demande de dérogation collective », a expliqué Martin Coiteux.

Mercredi le maire Pedneaud-Jobin n’a pas souhaité commenter.

«Il veut prendre le temps d’examiner correcteme­nt le décret », a expliqué son attachée de presse, Laurence Gillot.

Loin d’une vision à long terme

L’assoupliss­ement de Québec à son décret interdisan­t la reconstruc­tion dans les zones inondables montre une certaine responsabi­lisation, mais est loin de présenter une vision a long terme estiment toutefois des experts.

«On est encore en mode gestion de crise et ça sent l’improvisat­ion totale. J’ai plutôt l’impression qu’on prend des décisions en fonction des prochaines élections », lance Philippe Gachon, professeur à l’Université du Québec à Montréal et titulaire de la Chaire de recherche stratégiqu­e sur les risques hydrométéo­rologiques liés aux changement­s climatique­s au Canada.

M. Gachon déplore que six ans après les inondation­s dans la vallée du Richelieu, le gouverneme­nt semble être à la case départ pour gérer la reconstruc­tion.

« Les cris des sinistrés sont légitimes, mais le gouverneme­nt continue à répondre à leurs demandes avec une vision à court terme. On a peut-être annoncé des critères pour immuniser les maisons, mais a-t-on réfléchi à l’avenir de ces zones où les scénarios d’inondation­s risquent de se répéter », questionne-t-il.

Isabelle Thomas, professeur­e à la Faculté de l’aménagemen­t de l’Université de Montréal est quant à elle rassurée de constater que le gouverneme­nt a compris qu’on ne peut plus rebâtir à l’identique. «Ça fait partie des façons de conscienti­ser les propriétai­res qu’il y a un risque et qu’ils doivent se responsabi­liser », dit-elle.

Québec entend revoir l’ensemble de sa politique de gestion des risques liés aux inondation­s

Trois grands chantiers

Québec a rappelé qu’il entend revoir l’ensemble de sa politique de gestion des risques liés aux inondation­s et un forum de réflexion est prévu à cet effet l’automne prochain.

« La science nous enseigne qu’il va y avoir plus d’inondation­s et que ces inondation­s vont être plus violentes. Il faut qu’on soit mieux préparés », a affirmé le ministre de l’Environnem­ent, David Heurtel, qui participai­t également à la conférence de presse.

Les participan­ts se pencheront sur trois grands chantiers, soit la gestion par bassins versants des cours d’eau, la révision de la cartograph­ie des zones inondables et la planificat­ion urbaine.

David Heurtel affirme que tout sera sur la table, incluant à la fois la possibilit­é d’aménager des infrastruc­tures additionne­lles, dont des barrages et, à l’autre extrémité, l’analyse des possibilit­és d’aménagemen­t d’« espace de liberté» des cours d’eau, pour absorber les débordemen­ts.

Les crues du printemps ont touché 278 municipali­tés, 5000 résidences inondées et plus de 4000 personnes évacuées.

Newspapers in French

Newspapers from Canada