Cannabis étatisé
Dans le débat de plus en plus international sur la décriminalisation du cannabis, ce n’est pas peu dire que l’Uruguay est à l’avant-garde. Avec l’adoption en 2013 d’une loi légalisant la marijuana, il est devenu le premier pays au monde à autoriser pleinement sa production et sa vente à des fins récréatives et à le faire sous contrôle de l’État. La loi est finalement entrée en application mercredi, près de quatre ans plus tard, avec la possibilité d’acheter en pharmacie dix grammes de cannabis par semaine au maximum, au prix — inférieur à celui du marché noir — de 1,30$US le gramme, de manière à couper l’herbe sous le pied des trafiquants de drogue.
Petit pays sud-américain de 3,5 millions, l’Uruguay est avant-gardiste à plus d’un titre. Il est officiellement laïque depuis 1919. La peine de mort y a été abolie en 1907 et les femmes y ont le droit de vote depuis 1927. Le mariage gai a été légalisé en 2012 en même temps que, la même année, l’avortement a été dépénalisé, encore qu’à certaines conditions. La légalisation du cannabis va dans le sens de cette culture progressiste. En l’occurrence, le gouvernement de gauche au pouvoir à Montevideo a pris son temps et pris des précautions. Il fallait s’inscrire sur un registre de consommateurs pour pouvoir faire pousser des plants chez soi ou acheter de la marijuana. Et pour éviter que le pays ne se transforme en «mecque du cannabis», il a été convenu que seuls les citoyens uruguayens allaient pouvoir se prévaloir de la loi.
N’empêche que la législation a suscité une énorme polémique dans la société uruguayenne, à commencer par le débat autour du fait que le pharmacien se trouverait à devenir pusher, pour ainsi dire. On peut toutefois concevoir que les réticences s’apaiseront si la loi réussit dans les faits à étouffer le marché illicite et à réduire la criminalité.
La nouvelle loi s’inscrit en tout cas dans un large mouvement qui se dessine en Amérique latine pour constater l’échec de la «guerre contre la drogue» soutenue par Washington et pour promouvoir une approche qui passe moins par la répression que par les défis de santé publique et de traitement des toxicomanies. Des pays comme la Colombie, le Guatemala, le Mexique et l’Argentine remettent aujourd’hui en question, à divers degrés, une approche répressive dont les coûts sociaux s’avèrent exorbitants. Ce n’est pas trop tôt.
Pour le Canada, qui se prépare à lui emboîter le pas d’ici le milieu de 2018, l’Uruguay est forcément un laboratoire dont il faudra surveiller l’expérience.