Le cimetière des préjugés
La saga du cimetière musulman n’a pas fini de hanter les débats et les consciences. Elle ramène dans l’actualité des enjeux très importants. Certains sont traités avec plus ou moins de pragmatisme, tandis que d’autres sont carrément évacués ou ignorés. Le domaine funéraire et son industrie ne sont pas des sujets très vendeurs pour les médias en général. Néanmoins, certains d’entre eux y ont consacré des articles et des dossiers qui ont contribué à lever le voile sur une industrie qui prospère généralement à l’abri des regards. Le principal enjeu qui devrait nous préoccuper présentement est d’ordre démographique, la génération des baby-boomers nous quittera dans les prochaines décennies. Le vieillissement de la population qui nous est souvent présenté comme un défi incontournable n’est pas sans conséquence pour l’industrie funéraire et les cimetières.
Au Québec, la très grande majorité des cimetières, à l’instar du cimetière actuel de Saint-Apollinaire, sont de confession catholique et sont gérés par l’église et les fabriques. Il existe d’autres cimetières confessionnels, juifs et protestants, et ces deux seules confessions complètent pratiquement le portrait. Un portrait fidèle à nos origines et à notre histoire, l’installation de ces cimetières date souvent de plus d’une centaine d’années. Ils appartiennent aujourd’hui à notre patrimoine funéraire. Devant une telle réalité, il est logique de penser que le temps est désormais venu de permettre l’aménagement de cimetières de confession musulmane. Les raisons qui font que très peu de ces cimetières existent actuellement sont fort simples, la présence de plus en plus grande de citoyens de confession musulmane est un phénomène assez récent et chez plusieurs familles, le rapatriement vers le pays d’origine représente souvent la meilleure solution. Cette pratique du rapatriement est cependant coûteuse et complexe, et il est fort probable qu’elle sera progressivement abandonnée. La situation des cimetières musulmans se résume actuellement à la grande région métropolitaine et un seul cimetière strictement musulman est exploité. Toutes les autres options qui s’offrent à la communauté sont situées dans des cimetières privés que l’on peut qualifier de multiconfessionnels.
Importance des cimetières privés
Cette situation souligne l’importance des cimetières privés, autant dans la gestion du défi démographique qui nous attend que dans celui de la diversité des croyances et des religions. Il faut bien comprendre que la gestion de la majorité de nos cimetières par l’Église catholique est souvent problématique. À l’exception des gros joueurs, la plupart des cimetières catholiques sont en difficultés financières, et leur offre risque d’être insuffisante dans plusieurs régions et municipalités. Il est bon de rappeler que ces préoccupations sont présentes pour les citoyens et citoyennes de Saint-Apollinaire, alors que les concessions disponibles dans leur cimetière catholique seront rapidement épuisées. La solution, pour la communauté musulmane de la région de Québec, repose sur la possibilité d’établir des sections distinctes dans des cimetières privés existants (une solution qui est déjà accessible). L’intervention des instances politiques est certes souhaitable, mais il n’en demeure pas moins que c’est à la Ville de Québec que revient la responsabilité de satisfaire les besoins de sa communauté.
Les aspects réglementaires et légaux sont également incontournables. Un projet de cimetière est complexe et sa pérennité doit être garantie. L’établissement d’un cimetière fait du terrain utilisé un bien immobilier inaliénable et insaisissable. La première autorisation nécessaire émane du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. Cette étape peut se révéler problématique, particulièrement s’il s’agit d’y inhumer des corps (embaumés ou non). L’industrie funéraire à proprement parler, et les cimetières par la même occasion, sont régis par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Les règles sont nombreuses tant sur les aspects sanitaires que matériels, structurels et financiers.
Sur la question de l’établissement d’un cimetière musulman dans la région de Québec, l’aspect confessionnel doit être abordé dans sa globalité. Notre patrimoine funéraire qui représente un héritage précieux a pu s’établir, à l’époque, sur des bases confessionnelles solides et prospères. Dans notre société, ces ingrédients font désormais défaut et il devient de plus en plus urgent de s’adapter à ces nouvelles réalités. S’il est tout à fait légitime pour les personnes de confession musulmane de pouvoir compter sur une offre de cimetière conséquente, il faudrait également tenir compte des besoins de tous ceux et celles qui opteraient pour une solution non confessionnelle. Une approche nécessaire et rassembleuse qui devrait faire l’objet du présent débat.