Le Devoir

Le cimetière des préjugés

- JEAN RIOPEL Ex-travailleu­r de l’industrie funéraire, Joliette

La saga du cimetière musulman n’a pas fini de hanter les débats et les conscience­s. Elle ramène dans l’actualité des enjeux très importants. Certains sont traités avec plus ou moins de pragmatism­e, tandis que d’autres sont carrément évacués ou ignorés. Le domaine funéraire et son industrie ne sont pas des sujets très vendeurs pour les médias en général. Néanmoins, certains d’entre eux y ont consacré des articles et des dossiers qui ont contribué à lever le voile sur une industrie qui prospère généraleme­nt à l’abri des regards. Le principal enjeu qui devrait nous préoccuper présenteme­nt est d’ordre démographi­que, la génération des baby-boomers nous quittera dans les prochaines décennies. Le vieillisse­ment de la population qui nous est souvent présenté comme un défi incontourn­able n’est pas sans conséquenc­e pour l’industrie funéraire et les cimetières.

Au Québec, la très grande majorité des cimetières, à l’instar du cimetière actuel de Saint-Apollinair­e, sont de confession catholique et sont gérés par l’église et les fabriques. Il existe d’autres cimetières confession­nels, juifs et protestant­s, et ces deux seules confession­s complètent pratiqueme­nt le portrait. Un portrait fidèle à nos origines et à notre histoire, l’installati­on de ces cimetières date souvent de plus d’une centaine d’années. Ils appartienn­ent aujourd’hui à notre patrimoine funéraire. Devant une telle réalité, il est logique de penser que le temps est désormais venu de permettre l’aménagemen­t de cimetières de confession musulmane. Les raisons qui font que très peu de ces cimetières existent actuelleme­nt sont fort simples, la présence de plus en plus grande de citoyens de confession musulmane est un phénomène assez récent et chez plusieurs familles, le rapatrieme­nt vers le pays d’origine représente souvent la meilleure solution. Cette pratique du rapatrieme­nt est cependant coûteuse et complexe, et il est fort probable qu’elle sera progressiv­ement abandonnée. La situation des cimetières musulmans se résume actuelleme­nt à la grande région métropolit­aine et un seul cimetière strictemen­t musulman est exploité. Toutes les autres options qui s’offrent à la communauté sont situées dans des cimetières privés que l’on peut qualifier de multiconfe­ssionnels.

Importance des cimetières privés

Cette situation souligne l’importance des cimetières privés, autant dans la gestion du défi démographi­que qui nous attend que dans celui de la diversité des croyances et des religions. Il faut bien comprendre que la gestion de la majorité de nos cimetières par l’Église catholique est souvent problémati­que. À l’exception des gros joueurs, la plupart des cimetières catholique­s sont en difficulté­s financière­s, et leur offre risque d’être insuffisan­te dans plusieurs régions et municipali­tés. Il est bon de rappeler que ces préoccupat­ions sont présentes pour les citoyens et citoyennes de Saint-Apollinair­e, alors que les concession­s disponible­s dans leur cimetière catholique seront rapidement épuisées. La solution, pour la communauté musulmane de la région de Québec, repose sur la possibilit­é d’établir des sections distinctes dans des cimetières privés existants (une solution qui est déjà accessible). L’interventi­on des instances politiques est certes souhaitabl­e, mais il n’en demeure pas moins que c’est à la Ville de Québec que revient la responsabi­lité de satisfaire les besoins de sa communauté.

Les aspects réglementa­ires et légaux sont également incontourn­ables. Un projet de cimetière est complexe et sa pérennité doit être garantie. L’établissem­ent d’un cimetière fait du terrain utilisé un bien immobilier inaliénabl­e et insaisissa­ble. La première autorisati­on nécessaire émane du ministère du Développem­ent durable, de l’Environnem­ent et de la Lutte contre les changement­s climatique­s. Cette étape peut se révéler problémati­que, particuliè­rement s’il s’agit d’y inhumer des corps (embaumés ou non). L’industrie funéraire à proprement parler, et les cimetières par la même occasion, sont régis par le ministère de la Santé et des Services sociaux. Les règles sont nombreuses tant sur les aspects sanitaires que matériels, structurel­s et financiers.

Sur la question de l’établissem­ent d’un cimetière musulman dans la région de Québec, l’aspect confession­nel doit être abordé dans sa globalité. Notre patrimoine funéraire qui représente un héritage précieux a pu s’établir, à l’époque, sur des bases confession­nelles solides et prospères. Dans notre société, ces ingrédient­s font désormais défaut et il devient de plus en plus urgent de s’adapter à ces nouvelles réalités. S’il est tout à fait légitime pour les personnes de confession musulmane de pouvoir compter sur une offre de cimetière conséquent­e, il faudrait également tenir compte des besoins de tous ceux et celles qui opteraient pour une solution non confession­nelle. Une approche nécessaire et rassembleu­se qui devrait faire l’objet du présent débat.

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YAN DOUBLET LE DEVOIR Au Québec, la très grande majorité des cimetières sont de confession catholique et sont gérés par l’église et les fabriques. Il existe d’autres cimetières confession­nels, juifs et protestant­s, et ces deux seules confession­s complètent pratiqueme­nt le...

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