Le Devoir

La crise du Golfe et ses retombées humanitair­es

- FAHAD KAFOUD Ambassadeu­r du Qatar au Canada

Du jour au lendemain, trois pays du Golfe (l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et le Bahreïn) avec l’Égypte ont décidé de déclarer une guerre diplomatiq­ue, économique et médiatique à un pays voisin et partenaire au Conseil de coopératio­n du Golfe, qui est aux prises avec un séisme violent comme il n’en a jamais vécu depuis sa création il y a 36 ans.

Les trois pays se sont tournés également vers d’autres contrées loin de la région et de ses interactio­ns pour les pousser à se solidarise­r avec eux et à rompre leurs relations avec le Qatar, moyennant les outils du bâton et de la carotte. Ces pays-là n’ont fait que créer, de leur propre chef, de nouvelles zones de tension ouvertes à toutes les probabilit­és et faire porter aux diplomatie­s des grandes puissances un autre fardeau susceptibl­e de disperser l’intérêt internatio­nal des affaires majeures et cruciales que connaît le monde. […]

La région du Golfe, et du Moyen-Orient en général, a-t-elle besoin d’une nouvelle crise qui s’ajoute aux crises éternelles et récentes que la communauté internatio­nale n’est pas encore parvenue à résoudre? Le Conseil de coopératio­n du Golfe (CCG) a toujours été un modèle de stabilité, et son rôle est requis pour préserver la sécurité régionale et la paix mondiale, mais les «pays de l’embargo» avaient une opinion différente. Ils voulaient non seulement abuser de la stabilité de la région, mais aussi causer un chaos qui perturbera­it les liens entre les sociétés du Golfe et créer une dissension entre les peuples de la région, en plus de violer leurs droits fondamenta­ux en tant que personnes d’abord, puis en tant que citoyens et résidents dans ces pays. […]

Couper des liens familiaux

Ceux qui ont connu ou vécu dans la région du Golfe connaissen­t très bien la structure démographi­que et sociale des six pays du CCG et sont conscients sans aucun doute des conséquenc­es graves de ces décisions, comme celles prises par les pays de l’embargo contre les peuples de la région et non seulement le Qatar. Les liens familiaux dans les pays du Golfe sont entremêlés et complexes, puisqu’une famille ou une tribu peut être dispersée sur plus d’un seul pays. Nos parents et nos leaders qui ont pensé à créer le CCG voulaient préserver la cohésion des pays du Golfe et inciter les politicien­s à rester unis et à s’entraider, quel que soit le malentendu qui pourrait naître ici ou là. Or, les pays de l’embargo ont décidé de couper le cordon de ces liens et d’entraîner les citoyens de la région dans la confusion et la tension. […]

Quand je parle des liens familiaux entremêlés et complexes dans le Golfe, je fais allusion aux mariages mixtes entre les citoyens des six pays, et que ces trois pays aient décidé d’expulser tous les Qataris, sans exception aucune, et intimé l’ordre à leurs ressortiss­ants de quitter le Qatar signifie logiquemen­t que de nombreuses familles risquent d’être éparpillée­s, et cela était malheureus­ement le cas lorsque des enfants, issus de mariages mixtes, se sont retrouvés devant des cas de «divorce forcé». Si ces enfants ont la citoyennet­é qatarie, ils doivent quitter les trois pays en compagnie d’un seul parent, et s’ils ont la nationalit­é des «pays de l’embargo », ils sont obligés de quitter le Qatar, privés de leur père ou de leur mère.

Le départ de tout citoyen du Golfe du pays où il réside à cause de ces mesures signifie qu’il perd un emploi et une vie stable; de plus, la mère ou le père privé des siens ne trouvera plus le moyen de subvenir aux besoins de sa famille, puisque les autorités des «pays de l’embargo» ont décidé d’interdire les transferts d’argent en provenance et en direction du Qatar, et aussi de bloquer les services postaux et les autres transactio­ns commercial­es. […]

À cause des décisions des «pays de l’embargo», des centaines d’étudiants étaient obligés d’interrompr­e leurs études, bien que la plupart d’entre eux se préparaien­t pour les examens de fin d’année ou peut-être pour la remise des diplômes, mais ils ont dû partir sans aucune considérat­ion pour leur condition. Il convient de souligner que le gouverneme­nt du Qatar a refusé depuis le début d’appliquer ces traitement­s inhumains aux citoyens des «pays de l’embargo » qui résident ou travaillen­t au Qatar, mais il les a autorisés à y rester s’ils le voulaient et à garder leurs emplois. […]

Le même préjudice a atteint les investisse­urs qataris, en particulie­r ceux qui possèdent des biens immobilier­s ou des fermes, surtout en Arabie Saoudite ou aux Émirats. Ils se sont donc retrouvés obligés de partir et d’abandonner leurs biens sans même pouvoir les récupérer, ni s’occuper de leur bétail depuis qu’ils ont été obligés de s’en séparer, ni s’enquérir de l’état des dizaines ou centaines de travailleu­rs étrangers dont les employeurs qataris n’ont plus aucun moyen de renouveler le visa de résidence dans ces pays à cause de l’embargo qui leur est imposé. Même les morts n’ont pas échappé à cette «guerre» déclarée au Qatar, puisque plusieurs familles qataries ont perdu un parent dans l’un de ces pays, mais sont dans l’incapacité totale: elles ne peuvent pas rapatrier le cercueil de leur défunt de ces pays parce qu’elles sont désormais persona non grata, et elles ne sont pas non plus autorisées à assister aux funéraille­s. […]

Même si le Qatar paraît tolérant et insiste sur un dialogue sérieux entre les différente­s parties, il ne permettra aucune atteinte à ses citoyens ni à sa souveraine­té. Devant l’obstinatio­n des «pays de l’embargo» à continuer dans l’erreur, un comité a été formé par le Qatar pour exiger des dédommagem­ents. De son côté, la Commission qatarie des droits de la personne a recruté un bureau internatio­nal d’avocats afin qu’il prenne en charge les dossiers des victimes de l’embargo, qu’ils soient qataris ou résidents, ainsi que les citoyens des pays de l’embargo qui ne sont pas moins affectés. […]

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