Le Devoir

Des dizaines de condamnés pour traite d’être humains

- SALLY MAIRS THANAPORN PROMYAMYAI à Bangkok

Des dizaines de personnes, dont un haut gradé de l’armée, des policiers et des politicien­s, ont été condamnées à de longues peines de prison mercredi à Bangkok pour leur participat­ion à un immense réseau de traite d’êtres humains qui a exploité des milliers de migrants.

L’ampleur de ce trafic, dénoncé depuis des années par les ONG, était parvenue sur le devant de la scène internatio­nale en mai 2015, avec la découverte de fosses communes dans des camps de transit pour migrants en pleine jungle thaïlandai­se.

La répression qui avait suivi avait désorganis­é les filières et conduit les passeurs à abandonner en mer des milliers de Bangladais ou de migrants musulmans rohingyas venus de Birmanie.

Après plus d’une année et demie de procès, le tribunal a passé de longues heures mercredi à égrainer une à une les condamnati­ons. Sur les 103 accusés, 62 ont été condamnés à des peines allant de 4 à 96 années d’emprisonne­ment.

Soupçonné d’être la cheville ouvrière du trafic, le général Manas Kongpan a été condamné à 27 années de prison pour avoir «facilité la traite d’êtres humains et utilisé sa position pour permettre de faire sortir du territoire des Rohingyas contre paiement», a indiqué un des juges.

Cette grande figure de l’appareil sécuritair­e dans le sud de la Thaïlande, promu à l’époque où l’actuel chef de la junte Prayut Chan-O-Cha était à la tête de l’armée, niait les accusation­s retenues contre lui.

Il a aussi été reconnu coupable de «participat­ion à une organisati­on criminelle ». L’enquête aurait démontré la preuve de transferts bancaires de la part de passeurs sur le compte de Manas pour un montant de 14,8 millions de bahts (440 000 $CAN).

Procès «crucial et sans précédent»

Cette condamnati­on a tout de suite été qualifiée «d’étape majeure », sur Twitter, par Sunai Phasuk de Human Rights Watch qui a précisé que l’armée avait «échoué pendant des années à punir les soldats complices » des trafics.

Le démantèlem­ent du réseau a mis au jour l’implicatio­n de nombreux fonctionna­ires — soldats et policiers — et de politicien­s, dont le maire de la ville de Pedang Besar, dans le sud. Mais aussi des Rohingyas, qui servaient d’interprète­s notamment.

Les membres du réseau, soupçonnés d’avoir perçu des millions de dollars sur plusieurs années, devront par ailleurs reverser 4,4 millions de bahts (165 000 $CAN) pour les victimes rohingyas.

La filière était organisée dans tout le golfe du Bengale: les migrants birmans ou bangladais tentaient de passer en Thaïlande pour ensuite rejoindre clandestin­ement par la route la Malaisie.

Des survivants ont raconté que les passages à tabac, les meurtres et les viols étaient fréquents. Des dizaines de fosses communes ont été retrouvées dans le sud de la Thaïlande.

La junte militaire thaïlandai­se, soucieuse de débarrasse­r le pays de sa réputation de plaque tournante du trafic d’êtres humains, avait affiché sa résolution à désorganis­er les filières. Et elle a donc décidé de faire de cet immense procès un exemple, mais les défenseurs des droits de l’homme ont critiqué les tentatives d’intimidati­on des témoins et l’accès restreint pour la presse lors des audiences.

Pour Amy Smith, de Fortify Rights, ce procès est « crucial et sans précédent ».

Mais «la Thaïlande a encore beaucoup de chemin à parcourir pour assurer la justice pour les milliers d’hommes qui ont été exploités, torturés et tués», ajoute-t-elle.

Il est clair selon elle que «beaucoup d’autres responsabl­es des trafics sont toujours dehors. C’est un vrai business et beaucoup d’argent », ajoute-t-elle.

Chaque année, des dizaines de milliers de candidats à l’exil transitaie­nt par le sud de la Thaïlande, et pour ceux retenus dans les camps, entre 2000 et 3000$ étaient réclamés à leur famille pour leur libération.

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CHRISTOPHE ARCHAMBAUL­T AGENCE FRANCE-PRESSE Des migrants birmans à la dérive dans les eaux territoria­les thaïlandai­ses le 14 mai 2015

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