Le Devoir

Réforme de la justice : l’UE menace la Pologne de sanctions

La Commission européenne demande à Varsovie de mettre en suspens les réformes très critiquées de son système judiciaire, faute de quoi elle prendra des mesures punitives. L’Union s’inquiète de la mise en danger de l’État de droit dans le pays.

- MAÏDER GÉRARD

Si la Pologne n’arrête pas ses réformes judiciaire­s controvers­ées, elle pourrait encourir des sanctions inédites, a statué mercredi la Commission européenne. «Nous sommes désormais très proches de déclencher l’article 7 du traité de l’Union européenne [UE] », a averti le vice-président de l’exécutif européen, Frans Timmermans. Une telle décision signifiera­it que Bruxelles considère les réformes polonaises comme une «violation grave et persistant­e» des valeurs de l’UE. L’article 7 priverait alors la Pologne de certains de ses droits dans l’UE, comme son droit de vote au Conseil européen. La Commission demande « instamment aux autorités polonaises de mettre les nouvelles lois en suspens et de reprendre le dialogue engagé» avec Bruxelles pour «répondre aux graves inquiétude­s » exprimées sur le respect de l’État de droit dans le pays.

Manifestat­ions d’ampleur

Les Polonais aussi s’inquiètent des actions du PiS (Parti droit et justice), les ultraconse­rvateurs au pouvoir. «Ce que fait le gouverneme­nt, c’est de la folie », s’alarme Justyna Koscinska, doctorante de 24 ans. La Varsovienn­e faisait partie des 4500 à 10 000 personnes qui ont manifesté dimanche contre les réformes du système judiciaire. Varsovie, Cracovie, Szczecin, Wroclaw, les marches de protestati­on ont été organisées dans tout le pays et se poursuiven­t presque tous les jours depuis. Les manifestan­ts demandent au président de la République, Andrzej Duda, d’utiliser son droit de veto pour empêcher la mise en applicatio­n des lois modifiant le système judiciaire votées samedi par le Sénat. Ces réformes n’attendent plus que l’approbatio­n du chef de l’État pour entrer en vigueur. «On n’a plus d’autre choix que de manifester », résume Justyna.

Pour l’opposition, ces réformes sont un «coup d’État rampant » qui installero­nt la fin de l’indépendan­ce du pouvoir judiciaire. La première loi votée porte sur le statut du Conseil national de la magistratu­re

et prévoit la révocation immédiate de tous les membres de ce Conseil, qui seront remplacés par de nouveaux magistrats désignés par le Parlement à la majorité simple. Un Parlement dominé par le PiS depuis les élections législativ­es de 2015.

Le deuxième texte prévoit la modificati­on du régime des tribunaux de droit commun, dont les présidents pourront être licenciés et nommés par le ministre de la Justice, Zbigniew Ziobro, sans aucun mécanisme de contrôle.

Enfin, ce mercredi était discutée une troisième propositio­n de loi, toujours sur la refonte du système judiciaire, donnant au ministre de la Justice d’importants pouvoirs sur la Cour suprême, l’équivalent de la Cour de cassation.

Deuxième interventi­on de l’UE

La mobilisati­on commence à porter ses fruits, se félicite Justyna. Mardi, le président polonais, issu du PiS, a créé la surprise en menaçant de censurer la dernière réforme dans les tuyaux si le PiS refusait de modifier la première, déjà voté. Le chef de l’État a exigé que les élus revoient leur copie et a proposé un court projet de loi stipulant que les membres du Conseil national de la magistratu­re devaient être élus par la majorité qualifiée des trois cinquièmes. « Ce projet doit empêcher que le Conseil ne soit soumis à un seul parti, à un seul groupe politique. Cela n’est pas admissible. […] Ce serait perçu comme un diktat politique», a affirmé Andrzej Duda à la télévision mardi.

Au pouvoir depuis 2015, le PiS avait déjà été fortement contesté par une partie de la société civile pour ses prises de position sur le droit à l’avortement ou à cause de sa mainmise sur Tribunal constituti­onnel en 2016. Cette dernière réforme avait d’ailleurs valu au gouverneme­nt de faire l’objet d’une procédure inédite de «sauvegarde de l’État de droit», enclenchée par la Commission européenne, en janvier 2016. Ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre sa refonte du système judiciaire.

«Ce que fait le gouverneme­nt, manifester.» c’est de la folie. On n’a plus d’autre choix que de Justyna Koscinska, doctorante de 24 ans de Varsovie

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