Le Devoir

Un scrutin contesté marqué par la violence

Le Venezuela a été le théâtre de funestes manifestat­ions lors du vote sur l’Assemblée constituan­te

- AMÉLI PINEDA

La violence meurtrière qui a marqué le scrutin sur l’Assemblée constituan­te qui s’est tenu dimanche au Venezuela laisse craindre une escalade des affronteme­nts dans les rues du pays dès lundi.

Alors que les citoyens étaient attendus aux urnes dimanche, dix personnes avaient été tuées en moins de 48 heures, dont un candidat à l’élection ainsi qu’un dirigeant de l’opposition.

Sous une pluie de gaz lacrymogèn­es et de balles en caoutchouc, des manifestan­ts bloquant une autoroute de Caracas ont par ailleurs été délogés sans ménagement par les forces de l’ordre.

«Je ne sais pas d’où vient leur haine, des Vénézuélie­ns contre des Vénézuélie­ns… C’est une guerre!» a déclaré Conchita Ramirez, résidante d’un quartier de Caracas, après l’interventi­on musclée des forces de l’ordre équipées de véhicules antiémeute.

Dans l’État de Tachira, frontalier avec la Colombie, deux adolescent­s de 13 et 17 ans ont été tués durant une manifestat­ion. Un peu plus tôt dans le même État, un militaire avait aussi été tué.

Depuis début avril, les manifestat­ions antigouver­nementales ont fait plus de 120 morts et des milliers de blessés.

Cette escalade de violence survient tandis que les Vénézuélie­ns étaient appelés à voter dimanche par le président Nicolas Maduro pour élire les membres d’une assemblée qui sera chargée de réécrire la Constituti­on, remplaçant celle promulguée en 1999 par le défunt président Hugo Chavez.

Le résultat de l’élection qui déterminer­a les 545 élus chargés de modifier la Constituti­on n’était toujours pas connu dimanche soir, au moment d’écrire ces lignes.

«Le niveau de violence risque d’augmenter après la sortie des résultats. Ça fait des mois qu’il y a des manifestat­ions et des affronteme­nts, malgré toutes les interdicti­ons du gouverneme­nt. Je crains effectivem­ent que le pays soit au bord de la guerre civile », mentionne Ricardo Peñafiel, professeur de sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal et chercheur au Groupe de recherche sur les imaginaire­s politiques en Amérique latine (GRIPAL).

Les opposants du régime du président socialiste Maduro craignent que la réforme proposée par cette instance ne consolide la mainmise du parti au pouvoir.

L’opposition n’a donc présenté aucun candidat, et a plutôt appelé à dresser des barricades dans tout le pays, bien que le gouverneme­nt ait menacé de cinq à dix ans de prison ceux qui feraient obstacle au scrutin.

Selon l’analyste Benigno Alarcon du Centre d’études politiques de l’Université catholique Andres Bello, le gouverneme­nt a cherché à éviter une forte abstention, sachant que 7,6 millions de personnes ont voté lors d’un référendum symbolique, organisé par l’opposition, contre ce projet.

Le mode de scrutin, qui permet à un électeur de voter deux fois, d’abord sur son lieu de résidence et ensuite par secteurs socioprofe­ssionnels, devrait lui être favorable.

«Même si un grand nombre de Vénézuélie­ns ont boycotté le scrutin, Maduro est bien positionné entre autres parce qu’un tiers de cette assemblée sera sectoriell­e, ce sont donc des représenta­nts des secteurs sociaux, et se sont des chavistes », souligne M. Peñafiel.

Je crains effectivem­ent que le pays soit au bord de la guerre civile Ricardo Peñafiel, professeur de sciences politiques à l’Université du Québec à Montréal et chercheur au GRIPAL

Le président Maduro compte aussi sur le soutien des pouvoirs judiciaire et militaire.

«Super pouvoir»

Dans les derniers jours, le président Maduro n’a pas cessé de faire la promotion de la Constituan­te comme le nouveau «super pouvoir» qui sera au-dessus de tous les pouvoirs constitués, y compris le Parlement, actuelleme­nt dominé par l’opposition.

«Elle peut tout régénérer, tout créer, c’est le pouvoir des pouvoirs », a affirmé le président socialiste, promettant que cette assemblée apportera « la paix » face aux manifestat­ions qui réclament son départ et qui ont fait quelque 120 morts en quatre mois.

M. Peñafiel rappelle que cette crise est due au refus du président Maduro de reconnaîtr­e le rôle de l’opposition. Il soutient que, dès lundi, on pourra effectivem­ent parler d’un régime autoritair­e.

«Il aura empêché le Parlement d’exercer son pouvoir en utilisant des manoeuvres qu’on peut remettre en question. En n’acceptant pas le rôle de l’opposition, il devient autoritair­e», mentionne M. Peñafiel.

Cette constituan­te est toutefois un pari risqué pour Maduro, puisqu’il a promis qu’elle apportera la stabilité économique au pays, actuelleme­nt en faillite.

«Il n’a pas encore détaillé les mesures pour y arriver, mais il y a urgence. Les gens ne sont plus capables de se procurer des denrées de base. À cause de l’inflation, les prix n’ont plus aucune correspond­ance », indique M. Peñafiel.

Nouvelles sanctions?

Ce défi pourrait toutefois amener les ÉtatsUnis à décréter de nouvelles sanctions et provoquer de nouveaux affronteme­nts.

L’opposant Leopoldo Lopez, assigné à résidence après plus de trois ans d’incarcérat­ion, a appelé les «démocrates du monde entier» à ne pas reconnaîtr­e l’Assemblée constituan­te. L’Argentine, la Colombie, le Panama et le Pérou l’ont déjà fait. Des manifestan­ts vénézuélie­ns à Madrid ont demandé que l’Espagne elle aussi ne reconnaiss­e pas la Constituan­te.

L’ambassadri­ce américaine à l’ONU, Nikki Haley, a averti dimanche que le Venezuela avait fait un «pas vers la dictature» avec l’élection très contestée de l’Assemblée constituan­te, voulue par le président socialiste Nicolas Maduro et rejetée par l’opposition. « Le simulacre d’élection de Maduro est un autre pas vers la dictature. Nous n’accepteron­s aucun gouverneme­nt illégitime. Le peuple vénézuélie­n et la démocratie prévaudron­t », a déclaré Nikki Haley dans un tweet, alors que la journée a été marquée par une escalade de la violence et de nouveaux morts.

La Maison-Blanche a imposé une série de sanctions à plusieurs membres de haut rang du gouverneme­nt de M. Maduro, avec l’appui du Mexique, de la Colombie et du Panama, entre autres.

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RONALDO SCHEMIDT AGENCE FRANCE-PRESSE Le jour de vote a été marqué par de violents affronteme­nts entre des manifestan­ts et les forces de l’ordre.

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