Dieu, ce comique martyr des caricaturistes
Voilà l’audacieuse prémisse d’une exposition en cours au Musée des religions du monde de Nicolet. Face aux quelque 150 caricatures, on esquisse un sourire, on s’esclaffe carrément, on se choque aussi, parfois. « Défoulement, défi ou profanation ? Est-ce qu’au nom de la liberté de pensée, le rire a tous les droits? Une chose est sûre, quand le fanatisme prend le pouvoir, le rire est immédiatement au banc des accusés», énonce-t-on en introduction de Traits d’esprit, exposition initialement montée par L’Atelier protestant et présentée par le musée du protestantisme de Ferrières, en France.
C’était avant l’attentat qui allait décimer une partie de l’équipe du satirique Charlie Hebdo, en janvier 2015. Pas du genre à craindre la controverse, Jean-François Royal, directeur du musée de Nicolet, a pris la balle au bond quand on lui a proposé d’exposer ici les oeuvres souvent grinçantes et irrévérencieuses d’une dizaine de dessinateurs européens. Auxquelles il a ajouté le travail de cinq carica-
turistes québécois (Bado, Côté, Fleg, Garnotte, J. Isabelle).
« Dieu a le sens de l’humour, ce sont simplement les occasions de sourire qui lui manquent », peut-on lire sur une des planches de Piem. Descendue de son piédestal, la statue de la Liberté avance à grands pas, balançant à tout va bombes et missiles. Dans son dos, un homme à l’allure inquiétante, arborant turban et barbe, marche en semant la mort. « Qui sème le vent récolte la tempête », lit-on sous le dessin de Molina. Dessinateur et pasteur, il fait aussi dans l’autodérision, pointant l’austérité d’un certain protestantisme. Tout comme de Pury, croquant un pasteur autoritaire face à son assemblée: «On pourrait formuler la chose ainsi: tout est permis, à condition que cela ne fasse pas plaisir. » « Ici, on ne discute pas, on croit», veut imposer un autre prédicateur quelques bulles plus loin.
Pas de censure
Discuter, débattre, c’est justement ce que vise Jean-François Royal. «Sur la question de la représentation de Dieu en caricature, si je me censure, je ne joue pas mon rôle social.» Les réactions outrées, il les prend au même titre que les grands éclats de rire. «Une exposition comme celle-là montre que la religion a différentes facettes, qu’on n’est pas obligés d’être toujours dans l’historique, le sérieux, le solennel.»
Première institution du genre en Amérique du Nord, à l’oeuvre depuis 1986, le musée a pour mission de parler des fondements des cinq grandes traditions religieuses (islam, judaïsme, christianisme, bouddhisme, hindouisme).
Pour son directeur, historien de formation, il s’agit surtout de favoriser une meilleure compréhension de ce qu’est et ce que n’est pas la religion. « Apprendre à distinguer hommerie et bondieuserie », par exemple, entendant par là inciter à éviter les amalgames. «On n’apporte pas de réponse aux questions qu’on soulève, on invite le visiteur à se faire son opinion. On n’est pas un musée facile et on le sait! Ça peut être exigeant, une visite chez nous. On “torture” l’esprit en soulevant des questions ! » caricature un peu le directeur. Nulle intention de faire de ses visiteurs des béni-oui-oui. À d’autres, le prosélytisme. Ici, on cherche à provoquer pour mieux faire réfléchir. À cet égard, l’exposition sur le voile musulman, conçue avant le débat entourant la charte de la laïcité et présentée en 2013, a apporté sa contribution. Parallèles entre musulmanes et soeurs Ursulines voilées de la tête au pied ou paroles de femmes affirmant que porter le voile aujourd’hui est leur choix délibéré: quelques filets d’encre avaient alors coulé.
Du tabou à l’hypocrisie
« C’est compliqué, parler de religion, de plus en plus difficile, observe Jean-François Royal. Parce que justement on perd ce regard critique, et qu’on n’arrive pas à faire la différence entre croyance personnelle et croyance de masse. La religion reste quelque chose d’éminemment personnel, et ça, c’est mal compris. Face à un visiteur qui affirme qu’Adam et Ève ont existé, je n’ai pas d’arguments. Parce qu’il y croit. C’est sa foi et ça va rester ainsi.» Plutôt que de s’échiner à convaincre, on veut donc inviter à penser. «Mais on n’a pas le débat facile, au Québec », déplore doucement le directeur, ajoutant que le prisme de l’horreur à travers lequel on traite habituellement de la religion n’aide pas. « Prêtres pédophiles et attentats revendiqués au nom d’un Dieu font de meilleures nouvelles que des communautés religieuses oeuvrant à l’éducation ou à l’émancipation des femmes », lance-t-il.
Et puis il y a aussi cette relation un peu hypocrite qu’on entretient avec la religion. En témoignent les dizaines d’objets dont on vient se débarrasser au Musée des religions du monde. Chaque semaine, Jean-François Royal doit refuser des dons. «On nous apporte les chapelets ou la bible d’un parent décédé, expliquant qu’on ne croit plus vraiment, dans la famille, que tout ça appartient à un autre temps. C’est à 95 % du patrimoine familial plus que religieux, sans intérêt patrimonial pour nos archives. Mais les gens refusent de repartir avec. »
Des objets dont on n’a que faire parce qu’on ne croit pas, mais qu’on ne peut se résoudre à jeter de crainte de frôler l’hérésie, en somme. L’image du directeur courant après ces superstitieux pour les forcer à repartir avec leurs boîtes force le sourire.