Le Devoir

Autopartag­e Louer sa voiture à un parfait inconnu

La plateforme Turo permet aux propriétai­res de faire un gain d’argent en louant leur automobile à de parfaits inconnus

- ANNABELLE CAILLOU

Au lieu de laisser leur voiture se refroidir au fond du garage, n’ayant l’occasion de la sortir que de temps à autre, les Québécois peuvent louer leur véhicule contre quelques dollars, tout en permettant à leur voisin ou à un parfait inconnu de partir à l’aventure pendant quelques jours.

Un an après son lancement au Québec, la plateforme Turo continue son expansion, rejoignant de plus en plus d’utilisateu­rs à travers la province. Permettant un gain d’argent à ceux qui n’utilisent pas leur voiture quotidienn­ement, Turo donne la possibilit­é aux habitués du transport en commun, du vélo et autre moyen de mobilité durable, d’accéder plus facilement à un véhicule pour partir en weekend ou en vacances pour quelques jours.

C’est le cas notamment d’Étienne Grenier, qui vit à Montréal pour ses études depuis deux ans. Bien qu’il utilise désormais les transports en commun pour se déplacer dans son quotidien, le jeune homme a préféré garder sa voiture, qu’il possède depuis ses études au cégep, pour se rendre plus facilement dans sa famille, qui habite près de Saint-Jérome, certains weekends. «Je ne voulais pas vendre ma voiture, parce que ça reste utile, mais ce n’est pas rentable dans mon quotidien. Alors je la mets sur Turo, ça me permet de faire un peu d’argent, ça paye mon transport en commun par exemple.»

Lancée dès 2009 à San Francisco, Turo propose depuis avril 2016 aux Québécois de louer leur voiture à des particulie­rs à travers quelque 150 villes dans la province, et 300 à travers tout le pays. « Au Canada, on compte 2800 utilisateu­rs qui ont inscrit une voiture sur le site en ce moment, et la moitié vient du Québec», précise le directeur de Turo au Canada, Cédric Mathieu.

«C’est rare de voir une voiture comme une source d’argent, d’habitude c’est l’inverse, on voit ça comme beaucoup de dépenses», fait remarquer M. Mathieu.

En moyenne, une personne gagne 600$ par mois en décidant de partager sa voiture, explique-t-il. Une façon d’arrondir «ses fins de mois», et surtout un bon moyen de combler les frais attachés au véhicule, comme les assurances ou le stationnem­ent. Il rappelle qu’une voiture constitue la deuxième dépense des ménages québécois après le logement.

Aux yeux du directeur de la plateforme au Canada, Turo est aussi une façon de rejoindre les personnes plus éloignées des grands centres urbains qui chercherai­ent à louer une voiture pour quelques jours. «Quand on pense à l’autopartag­e, ces services-là sont surtout dans les grandes villes. Turo aussi a d’abord été adopté en ville, mais on voit de plus en plus d’annonces en région sur notre site », indique-t-il.

« La question de la masse critique entre en compte, s’il n’y a pas assez d’inscrits proposant des voitures et de personnes souhaitant les louer, ça ne fonctionne­ra pas», note quant à lui Martin Trépanier du Centre interunive­rsitaire de recherche sur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport (CIRRELT).

Il juge plutôt ce nouvel arrivant sur le marché comme un outil facilitant d’abord la vie des touristes, comme la plateforme en ligne Airbnb. «Ça va plutôt être pour les étrangers en vacances qui vont louer de Montréal pour aller dans les autres régions. Ou pour les Montréalai­s qui n’ont pas de voiture et veulent sortir de la ville quelques jours.»

Un concurrent aux compagnies de location

Turo ferait-il ainsi de l’ombre aux services de location de voitures tels qu’on les connaît ? «C’est certain qu’on va chercher davantage de monde, les locations de voitures il n’y en a pas partout en région, soutient M. Mathieu. On propose aussi un plus grand choix de véhicules, on a 230 marques et modèles différents au Québec.»

Le directeur de Turo se targue surtout de permettre à ses utilisateu­rs cherchant à emprunter une voiture de faire une économie d’argent de 30% en comparaiso­n avec les compagnies de location, tout en proposant une assurance qui couvre les accidents et autres « petits pépins ». «On a mis du temps à se lancer dans le pays, car on voulait une assurance solide. On a fini par signer un partenaria­t avec Intact Corporatio­n Financière et on continue nos démarches pour convaincre d’autres assureurs. »

«C’est extrêmemen­t rassurant pour des utilisateu­rs d’avoir des assurances, surtout quand on prête un bien onéreux comme une voiture», reconnaît de son côté le directeur de l’Observatoi­re de la consommati­on responsabl­e, Fabien Durif.

À ses yeux, les Québécois gardent un fort attachemen­t à la propriété de certains de leurs biens, notamment leur voiture, et se montrent quelque peu frileux à l’idée de la prêter. « C’est pas facile de se détacher de sa voiture, ici. C’est une habitude, c’est encore le modèle de l’auto-solo qui domine en Amérique du Nord », dit-il.

Pourtant, «avec Airbnb, on loue un domicile et ce modèle a marché à travers le monde entier. Une voiture c’est moins pire qu’un domicile, non?» nuance M. Trépanier, qui ne s’étonnerait pas de voir le modèle gagner en popularité dans les prochaines années.

Le Québec en retard?

À l’heure actuelle, Turo ne bénéficie pas encore d’une très grande renommée sur le marché québécois, selon Fabien Durif. Si le nombre d’annonces et d’utilisateu­rs actifs a augmenté ces dernières années, la progressio­n reste lente comparée à d’autres villes à travers le monde, où louer sa propre voiture est devenu commun. «On est en retard ici. En Europe, en France par exemple, il y a déjà sept ou huit gros joueurs sur le marché qui proposent de louer sa voiture à un particulie­r. Elles font vraiment concurrenc­e aux autres formes de location, plus traditionn­elles », indique-t-il.

«On est faible en terme de pratique d’économie du partage en général ; on est en émergence encore », insiste M. Durif. Ce retard se fait en effet ressentir dans toutes les formes d’économie du partage au Québec. Une étude du CEFRIO, publiée la semaine passée, confirme le faible succès des services collaborat­ifs, notamment en transport et en hébergemen­t, dans la province. Selon cette récente enquête NETendance­s, le service de taxi Uber ne rejoint que 6% des Québécois. On monte à 10% lorsqu’il s’agit de la région montréalai­se et à 21 % chez les 18-24 ans. Pour ce qui est de trouver un hébergemen­t à distance, seulement 5% de la population a fait appel à Airbnb.

Turo pourrait tout de même devenir un très gros joueur au Québec, croit Fabien Durif. «C’est une question de temps, surtout que pour l’instant ils n’ont aucun concurrent. Il faut juste pousser les choses pour changer les moeurs et les pratiques.»

Il croit que l’entreprise gagnerait à développer sa stratégie de communicat­ion pour se faire davantage connaître sur le territoire canadien et gagner en notoriété. Et considéran­t les dépenses induites par la possession d’une voiture, l’argument du coût pourrait convaincre bien des citoyens, selon lui. « L’argument environnem­ental est important, c’est certain, une plateforme comme Turo contribue à diminuer le nombre de voitures en circulatio­n. Mais auprès des gens, l’argument du coût aura le plus d’impact.»

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CATHERINE LEGAULT LE DEVOIR Lancée dès 2009 à San Francisco, Turo propose depuis avril 2016 aux Québécois de louer leur voiture à des particulie­rs à travers quelque 150 villes dans la province, et 300 à travers tout le pays.
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ISTOCK L’applicatio­n Turo a été lancée en 2009 à San Francisco, aux États-Unis.

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