Le Devoir

Série Terminus. Premier arrêt, la maison des marins de Montréal.

- VALÉRIAN MAZATAUD

Entre le départ et l’arrivée, ici ou là-bas, Le Devoir a eu envie de vous écrire des cartes postales qui fleurent bon le bitume. Une invitation au voyage vers des destinatio­ns inattendue­s, au coin de la rue. Aujourd’hui: la maison des marins de Montréal, ouverte depuis le XIXe siècle.

Tous les jours de la semaine, David Rozeboom embarque sur les cargos à quai au port de Montréal. Rien à examiner, rien à inspecter, rien à faire signer, le longiligne Américain originaire de Rapid City est là pour écouter et parler. Depuis dix ans, il est un des trois aumôniers de la Maison des marins de Montréal, une institutio­n dont l’histoire remonte à plus de 150 ans et dont l’objectif est d’apporter un soutien matériel, social et spirituel aux marins de passage.

«Les marins ont les mêmes problèmes que tout le monde, mais quand tu passes six mois sur un navire, tu ne peux pas vraiment en parler avec tes collègues, tu veux paraître fort. Alors, parfois, c’est bon d’avoir quelqu’un pour parler de ta vie. » Du côté des marins, on reste pragmatiqu­e. «La maison des marins? Ça sert à fournir un soutien… Et à acheter des souvenirs ! » blague Serguei Babin, 25 ans, un Roumain costaud aux opinions bien tranchées.

« Moi, je leur dis merci, car ils rendent ma découverte des lieux bien plus facile. Hier, David m’a déposé dans le centrevill­e », explique le cadet du navire, Sasha Mykhachuk, un Ukrainien de 20 ans. C’est sa troisième visite à Montréal. La première fois, il débarquait après trois mois en mer. «J’ai ressenti un choc en voyant autant de monde! se souvient-il. C’est une très jolie ville, très verte, mais vous avez un problème avec les routes.» Cette fois, le contraste sera moins extrême: après dix jours de traversée depuis le Portugal, le MSC Hannah, un porteconte­neurs de 211 mètres de long, accoste pour deux jours.

Confiance

Pour beaucoup de navires, Montréal est un terminus où il faut décharger la cargaison au complet et en charger une nouvelle. En Europe, où les ports sont plus nombreux, les escales durent tout au plus six à huit heures. Difficile dans ces conditions d’aller se promener, et la visite du représenta­nt du «seamen’s club» local revêt d’autant plus d’importance. «Étant donné le nombre de navires qui accostent, c’est assez rare de recevoir leur visite», reconnaît Serguei Babin.

Le port de Montréal est plus petit et David Rozeboom se fait un point d’honneur de visiter tous les navires à quai. Autour d’un café, l’aumônier lance quelques perches : «Tous les Ukrainiens sont-ils russophone­s comme eux? De quelle région sont-ils originaire­s?» Le second du navire, Kostyantyn Dzhemesuk, 40 ans, préfère trancher: « Mieux vaut ne pas parler de politique. »

David Rozeboom dispose d’une demi-heure pour établir une relation de confiance avec des marins qui sont loin de tous parler anglais. «Les équipages indiens ou philippins, même s’ils ne te parlent pas, ils te proposent toujours de t’installer au mess et de rester un peu. Avec les Ukrainiens ou les Polonais, c’est plus difficile. S’ils ne te connaissen­t pas, ils ne vont même pas te proposer de t’asseoir. »

Une fois le café terminé, l’aumônier propose de conduire les marins en ville. Le cadet et le second profitent de l’occasion pour économiser un taxi. «Hier, j’ai découvert le meilleur pub du monde: Les 3 Brasseurs!» s’enthousias­me le plus jeune. La Maison des marins dispose de plusieurs véhicules, dont un minibus, qui permet d’assurer une navette entre l’est de l’île et le Vieux-Port.

«Des proies faciles»

Internet reste une rareté sur les navires, et une fois à terre les hommes ne disposent que de peu de temps pour joindre leur famille ou savourer un steak et une bière. À ceux qui ne restent que quelques heures, David Rozeboom propose des cartes SIM avec des données Internet prépayées. Les autres auront le temps de faire un peu de tourisme, et de profiter de la connexion Internet de la Maison des marins.

À l’origine, à la fin du XIXe siècle, deux organisati­ons de soutien aux marins, l’une catholique, l’autre protestant­e, travaillai­ent côte à côte pour protéger les marins, «proies faciles pour les tenants de bars et de bordels, les racoleurs et les charlatans de tout acabit qui s’unissent pour les déposséder de leur argent». En 1968, elles décidaient de s’unir pour donner naissance à la Maison des marins.

Aujourd’hui, la réputation du port de Montréal est nettement moins sulfureuse et il s’agit surtout de protéger les marins… des tarifs excessifs des boutiques à touristes ! Outre une table de ping-pong et de nombreuses maquettes de bateau en bouteille, la Maison des marins propose effectivem­ent une large sélection de souvenirs, des chandails à capuche et feuille d’érable aux toutous de castor en passant par les briquets et les assiettes gravées.

Sur un mur face à l’entrée, les visiteurs ont agrafé leur photo avec un billet de banque de leur pays. Le Mahatma Gandhi y côtoie Mao Zedong et Manuel Roxas, premier président des Philippine­s après l’indépendan­ce. Quelques mètres plus loin, une petite chapelle accueille une messe chaque soir. Depuis l’arrivée du wifi, les lieux sont moins propices à l’échange, chacun reste dans son coin, déplore l’aumônier. «En 2005, il y avait encore une file pour utiliser chacun de nos six téléphones!»

Durant les travaux de réfection du port de Montréal, la Maison des marins a temporaire­ment déménagé rue de la Commune. « Ici, nous n’avons pas de permis d’alcool, alors nous ne pouvons pas vendre de bière. Notre fréquentat­ion est passée de 12 000 à 4000 marins par an…» Tout devrait retourner à la normale d’ici le 1er septembre, date prévue de la réouvertur­e de la Maison des marins dans son ancien édifice, rénové, jetée Alexandra.

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PHOTOS VALÉRIAN MAZATAUD Dave Rozeboom, un des aumôniers de la Maison des marins, et Sasha Mykhachuk, un marin ukrainien, sur le pont du Msc Hannah
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Sur un mur face à l’entrée, les visiteurs ont agrafé leur photo avec un billet de banque de leur pays.

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