Le Devoir

Musique classique. Gilles Tremblay, la mort du patriarche.

- CHRISTOPHE HUSS

La Société de musique contempora­ine du Québec a fait part, samedi matin, du décès, jeudi soir à Montréal, du compositeu­r Gilles Tremblay. En tant que professeur au Conservato­ire de musique de Montréal pendant plus de trois décennies, Gilles Tremblay fut le père spirituel de plusieurs génération­s de compositeu­rs québécois. Il avait 85 ans.

«Je ne viens pas d’une famille de musiciens, comme Bach ou Mozart. Mes parents […] ne faisaient pas de musique, mais savaient s’émerveille­r devant la nature et mes premières émotions esthétique­s proviennen­t de l’émerveille­ment de la nature partagé avec mon père.» Ces paroles ouvrent un entretien que Gilles Tremblay avait accordé à son élève Jean Lesage en 1997, dans le cadre d’une émission retransmis­e par Radio-Canada.

Devenu compositeu­r, Gilles Tremblay avait gardé de son enfance la quête de l’émer veillement. Son opéra L’eau qui danse, la pomme qui chante et l’oiseau qui dit la vérité (20042007) fait ainsi en quelque sorte office de testament artistique.

Si l’oiseau dit la vérité, ce n’est pas un hasard. Après des études auprès de Claude Champagne entre 1949 et 1954 au Conservato­ire de musique de Montréal, Gilles Tremblay était allé étudier à Paris auprès d’Yvonne Loriod (écriture et piano) et Olivier Messiaen (analyse). Messiaen, le compositeu­r fasciné par l’univers des oiseaux, a beaucoup marqué Gilles Tremblay, qui étudia aussi les ondes Martenot avec Maurice Martenot et s’intéressa aux techniques électroaco­ustiques auprès de Stockhause­n.

Primus inter pares

Revenu au Québec en 1961, Gilles Tremblay acquiert très rapidement une stature de primus inter pares parmi les compositeu­rs québécois. Il se fait connaître par ses cours d’analyse, inspirés de ceux de Messiaen, qu’il donne au Centre d’arts Orford, puis au Conservato­ire de musique du Québec, à Québec, avant d’être nommé responsabl­e de la classe d’analyse au Conservato­ire, à Montréal, en 1962, et des cours de compositio­n en 1967. Il occupera ces postes jusqu’à sa retraite, en 1997.

Gilles Tremblay a ainsi formé plusieurs génération­s de compositeu­rs, tels Claude Vivier, Michel Gonneville, Walter Boudreau, Yves Daoust, Isabelle Panneton, Serge Provost, Jean Lesage et tant d’autres.

Sa réalisatio­n en 1966-1967 de la sonorisati­on du pavillon du Québec lors d’Expo 67 lui valut de recevoir le prix de musique Calixa-Lavallée en 1968. Membre du conseil d’administra­tion de la SMCQ (1968-1988), il en fut le président entre 1982 et 1988 et le directeur artistique de 1986 à 1988.

Parmi ses oeuvres en vue, l’OSM lui commanda Fleuves, dont la création, en 1977, fut placée sous la direction de Serge Garant, et, en 1986, ses Vêpres de la Vierge furent créées à l’occasion du 850e anniversai­re de fondation de l’Abbaye de Notre-Dame de Sylvanès en France.

Walter Boudreau, actuel directeur artistique de la SMCQ, dans le préambule de l’année rétrospect­ive que la Société de musique contempora­ine consacra à son patriarche en 2009, voit en Gilles Tremblay notre «héros». Il le décrit en ces termes: « Gilles Tremblay est un poète, un visionnair­e, un explorateu­r. Voyageur infatigabl­e aux pays virtuels de la création, son corpus musical témoigne d’une curiosité absolument remarquabl­e qui nous transporte depuis Monteverdi jusqu’aux rythmes étourdissa­nts des gamelans balinais ! Amoureux de tout ce qui vit et respire, amoureux des grands espaces, de l’eau, du feu, du ciel et de la terre, Gilles Tremblay nous propose pas moins que l’extase et le dépassemen­t de soi devant autant de Beauté et d’Harmonie…»

Dans la notice biographiq­ue que lui consacre la SMCQ, Marie-Thérèse Lefebvre, spécialist­e de l’oeuvre de Tremblay, relève que «Tremblay, mieux que tout autre, a su amalgamer dans un tout cohérent ces deux pôles: tradition et modernité. Tout en étant éminemment de son temps, le compositeu­r a toujours refusé d’être en rupture avec l’histoire du langage ». Elle ajoute: «L’oeuvre de Gilles Tremblay témoigne de sa quête de sens et de son associatio­n étroite à la dimension sacrée de l’oeuvre d’art. Même la nature est comprise par lui moins comme réflexion écologique que comme autre moyen de rejoindre le divin. En ce sens, la démarche de Tremblay rejoint jusqu’à un certain point celle d’un Jacques Maritain ou, peut-être plus encore, celle d’un Teilhard de Chardin dont la vision cosmique du monde apparaît comme une lente progressio­n de la spirituali­sation de la matière. »

Gilles Tremblay laisse un corpus d’une quarantain­e de partitions, dont peu, hélas, pour grand orchestre. Une compositio­n pour baryton, piano et orchestre de chambre, de 1999, s’intitule À quelle heure commence le temps ? Celui-ci fera désormais son oeuvre.

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Gilles Tremblay

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