Le Devoir

Le micmac : enseigner pour survivre

- CAROLINE MONTPETIT

Le Québec est l’hôte de onze nations autochtone­s reconnues par le gouverneme­nt du Québec, chacune parlant sa propre langue. Certaines de ces langues sont encore parlées par des milliers de locuteurs. Plusieurs sont sur la voie rapide de l’extinction. Cet été, Le Devoir rencontre chaque semaine un locuteur d’une de ces langues. Voici Janine Metallic, pédagogue, de la réserve micmaque de Listuguj, en Gaspésie.

Pour préserver sa langue, Janine Metallic a enseigné quelques phrases de micmac à son conjoint, un anglophone originaire de Belle-Anse, en Gaspésie. «Je lui ai appris des choses comme “je suis prêt”, “la nourriture est cuite”, ou “le repas est prêt”.»

Parler à son conjoint dans sa langue maternelle est la seule façon pour Janine Metallic, qui vient de terminer son doctorat en études pédagogiqu­es à l’Université McGill, de maintenir un lien avec sa langue d’origine.

«J’essaie de parler ma langue un peu tous les jours. Mais c’est difficile quand il n’y a personne autour de toi qui parle ta langue. Que tu ne l’entends ni ne la vois nulle part.»

Dans le cadre de ses recherches universita­ires, Janine Metallic a suivi une cohorte d’étudiants originaire­s de Listuguj mais qui vivent en dehors de la réserve. Ils y retournent cependant durant l’été.

C’est à ce moment que le groupe d’étudiants a suivi des cours de micmac avec la mère et la tante de Janine Metallic.

«Ma mère a commencé à enseigner aux adultes il y a dix ans. Elle a développé une méthode différente, qui n’est pas basée sur la lecture et sur l’écriture mais sur des images. Dans sa classe, il y a des images sur les murs, et elle enseigne à partir de ces images. Elle est capable d’enseigner la grammaire, la structure du langage, à partir des images. Comme quand tu vas faire une marche et que tu dis: “C’est un arbre”.»

Cette approche a été expliquée dans l’un des rares ouvrages sur le sujet : Les langues autochtone­s du Québec, un patrimoine en danger, sous la direction de Lynn Drapeau, aux Presses de l’Université du Québec. La traduction écrite de la langue micmaque prête d’ailleurs à confusion.

«On a des documents dans la

«J’essaie de parler ma langue un peu tous les jours. Mais c’est difficile quand il n’y a personne autour de toi qui [la] parle.»

langue, mais la situation est complexe. On a eu des missionnai­res, des linguistes et des anthropolo­gues qui ont étudié notre communauté et qui ont écrit la langue différemme­nt selon leur origine. Le père Pacifique était français et catholique. Il a développé une orthograph­e portant son nom. Le père Silas Tertius Rand était baptiste et anglophone, et il a développé l’orthograph­e Rand.»

On dénombre pas moins de cinq orthograph­es différente­s pour la langue micmaque.

Ce ne sont pas les seules disparités que l’on rencontre en micmac. Pour désigner un magasin, les Micmacs du Québec ont adopté le mot français pour en faire « magasinang ». De leur côté, les Micmacs des Maritimes, qui fréquenten­t davantage les anglophone­s, diront plutôt «storeq».

La tante de Janine a quant à elle commencé à enseigner la langue micmaque au préscolair­e. La langue micmaque est ensuite enseignée comme matière au début du primaire. «Ma petite nièce est allée au préscolair­e en micmaque. Alors, au moins, elle a entendu la langue», dit Janine.

Une communauté passée en revue

La mère et la tante de Janine Metallic ont scruté la communauté de Listuguj, qui compte quelque 4000 habitants, pour déterminer plus ou moins combien de membres parlaient la langue et combien encore l’enseignaie­nt à leurs enfants.

«En passant en revue mentalemen­t les membres de la communauté, elles ont déterminé que moins de 400 des 4000 Micmacs de Listuguj parlaient le micmac. Et du lot, seulement 36 étaient engagés dans un effort pour le transmettr­e à leurs enfants ou à d’autres membres de la communauté.

C’est moins de 1% de la communauté et c’est un chiffre affolant. C’est cela qu’elles voulaient montrer aux membres. Qu’il ne suffit pas de comprendre la langue. Parce que même si tu la comprends, tu ne peux pas la transmettr­e. Je comprends le français, mais je ne peux pas l’enseigner», dit Janine. Cinquante pour cent de la communauté de Listuguj a moins de 25 ans.

Cette prise de conscience est relativeme­nt récente pour plusieurs Micmacs. « Quand j’étais petite, mes parents nous parlaient en micmac à la maison. Mes grandspare­nts avaient dit: “Parlez à Janine en micmac pour qu’on puisse parler avec elle”. Mes parents étaient très ouverts aux différente­s langues, aux différente­s façons de voir les choses. Ils m’ont envoyée à l’école d’immersion française, à Campbellto­n, au Nouveau-Brunswick. Ensuite je me suis mise progressiv­ement à l’anglais. »

Le frère de Janine, qui parle aussi le micmac, est en couple avec une Innue. «Il parle sa langue maternelle et elle parle la sienne, l’innu. Pour communique­r ensemble, je crois qu’il lui parle en anglais et qu’elle lui répond en français… », dit-elle.

Plusieurs langues autochtone­s ont pourtant des similarité­s. Comme l’innu et l’abénaquis, par exemple, la langue

micmaque compte des substantif­s «animés et inanimés», plutôt qu’un féminin ou un masculin. «Et le verbe s’accorde selon que le nom est animé ou inanimé. On a des façons différente­s de référer aux objets, et cela ne tient pas au fait que ces objets soient vivants ou non. »

Janine mentionne aussi que le micmac ne compte pas réellement de mots pour dire bonjour. Si on retrouve son conjoint autour d’un café le matin, on dira plutôt quelque chose comme «il y a longtemps que je ne t’ai pas vu» . Comme plusieurs autres langues autochtone­s, la langue micmaque est polysynthé­tique. Les suffixes et les préfixes s’y agglutinen­t les uns aux autres pour représente­r des phrases complètes. «Si je dis: «je veux continuer à parler micmac», par exemple, cela se dit: getusiawin­nugina’masi », explique Janine en riant.

Durant ses longues années d’étude, Janine Metallic a constammen­t souffert de l’éloignemen­t de sa communauté. «Je viens de défendre ma thèse», dit-elle. Elle rêve de se servir de ses études pour faire avancer les choses dans sa communauté de Listuguj, en Gaspésie, en particulie­r dans la sauvegarde de sa langue maternelle.

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Durant ses longues années d’étude, Janine Metallic a constammen­t souffert de l’éloignemen­t de sa communauté.

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