OEil pour oeil, viol pour viol
Dans le Penjab, 24 membres d’un conseil villageois ont été arrêtés après le viol public d’une adolescente perpétré en guise de représailles.
C’est une histoire sordide qui fait la une des journaux télévisés du Pakistan, où des femmes paient encore pour les crimes des hommes de leur famille. Le 16 juillet, F., une enfant de 12 ans, coupait de l’herbe dans les champs dans la périphérie de Multan, une grande ville du centre du pays, lorsqu’elle a été attaquée et violée en plein après-midi par un jeune homme de 17 ans. Pas un bandit de grand chemin, mais un garçon du village, son cousin éloigné. De quoi éclabousser gravement l’honneur de la famille de F., dans une culture où la honte tombe sur l’enfant brisée, et non sur l’agresseur.
Le conseil de village, que l’on appelle panchayat ou jirga, s’est saisi de l’affaire. L’assemblée composée de 27 hommes a considéré que l’honneur de la famille de F. serait lavé si son frère violait lui-même la soeur de l’accusé. La jeune U., 16 ans, a donc été sortie de son lit et traînée au milieu de la nuit jusque devant le conseil, où la « réparation » a été exécutée en public. Viol pour viol, l’affaire, tristement banale, aurait pu s’arrêter là, avec la bénédiction de la police locale, comme de nombreux autres cas rapportés par la presse régionale. Dans ces zones rurales qui vivent sous le joug des seigneurs féodaux, ce système de justice parallèle, encouragé par l’éloignement et l’inefficacité des tribunaux, résout les différends entre les clans dans le vase clos de la communauté. Les jugements des conseils villageois relèvent du code tribal et n’ont rien à voir avec la loi officielle du pays.
«Barbarie continuelle»
«Nous sommes scandalisés par la barbarie continuelle de ces systèmes parallèles de justice, tous illégaux, confie à Libération Farida Shaheed, membre de la Commission nationale pakistanaise sur le statut des femmes. La Haute Cour du Sindh avait pourtant statué sur cette pratique il y a quelques années. C’est pourquoi toutes les militantes exigent que le gouvernement mette fin à l’impunité de ces groupes.» Dans la journée de jeudi, le chef de la Cour suprême et le ministre en chef du Penjab se sont saisis du cas et ont annoncé la suspension des policiers locaux. «La question est: pourquoi la police n’at-elle
pas agi plus tôt? se demande Shaheed, qui milite aussi au Forum d’action pour les femmes. Le viol semble avoir eu lieu le 16. Or, le premier rapport de police n’est daté que du 21. Le 18, la police locale s’était contentée de renvoyer la fille au centre Violence contre les femmes.»
Le premier centre Violence contre les femmes (VAWC) du Pakistan a ouvert en mars à Multan, une région du Penjab particulièrement rétrograde où de nombreuses attaques à l’acide, viols ou kidnappings sont recensés. Une avancée spectaculaire qui suivait le vote, en 2016, de la loi provinciale sur la «Protection des femmes contre la violence», adoptée malgré l’opposition des groupes religieux qui arguaient que cela « augmenterait le taux de divorce » et « détruirait le système familial traditionnel ». Sur le modèle des «Women’s Crisis Center» qui existent aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, le VAWC, bâtiment moderne entièrement géré par des femmes, abrite un centre de coordination judiciaire et médical, un refuge pour femmes battues et une antenne de police spécialisée.
C’est là que les parents de U. ont fini par se rendre, le 20 juillet. L’adolescente a été prise en charge médicalement et le VAWC les a aidés à faire enregistrer leur plainte. Quatre jours plus tard, la famille de la petite F. a fait de même. Ce jeudi, le chef du conseil et 23 de ses membres étaient en garde à vue, ainsi que l’agresseur de la petite F. Le violeur de U. a pris la fuite.
En octobre 2016, le Parlement pakistanais a durci les peines encourues pour viol, prévoyant jusqu’à 25 ans de prison, et s’est engagé à faire juger les cas dans les trois mois. «Tous les membres du conseil doivent être poursuivis, pas seulement les violeurs présumés, affirme Farida Shaheed. Et la police et les autorités locales doivent être tenues pour responsables de la survenue de tels événements dans leur juridiction.» En 2002, un panchayat avait organisé le viol collectif d’une femme après que son frère avait été accusé — à tort — d’un flirt. Défiant le qu’en-dira-t-on, elle avait traîné ses agresseurs devant les tribunaux. Ils avaient finalement été acquittés pour «insuffisance de preuves».