Le Devoir

Les conservate­urs sont en train de vous « enfirouape­r »

- HUGUETTE GAGNON

Les conservate­urs ont puisé près de 5 millions de dollars des poches des contribuab­les pour contester les recours judiciaire­s qu’Omar Khadr a tous gagnés. D’après leurs déclaratio­ns, s’ils avaient été au pouvoir actuelleme­nt, ils auraient continué à dépenser des millions pour contester le recours en dédommagem­ent de Khadr. Pourtant, les conservate­urs savent que la Cour suprême a statué que le Canada avait été complice dans la torture de Khadr et qu’il avait violé ses droits garantis par la Charte des droits et libertés, ce qui signifie que les chances de réussite d’une contestati­on étaient pratiqueme­nt nulles.

Dans l’affaire Khadr, les gouverneme­nts canadiens successifs sont en faute pour avoir enfreint, notamment, la Charte des droits et libertés en vertu de laquelle ils avaient le devoir de protéger Khadr contre la torture ou d’autres traitement­s cruels, inhumains. […]

De 2002 à 2006, c’est le Parti libéral (Chrétien et Martin) qui est au pouvoir et, de 2006 au 20 octobre 2015, c’est le Parti conservate­ur (Harper). Lorsqu’Omar Khadr est détenu par les Américains à Bagram (juillet 2002) et transféré à Guantánamo (octobre 2002), c’est le Parti libéral dirigé par Chrétien qui est au pouvoir. Ce gouverneme­nt a su, au moins en octobre 2002 (lettre d’Amnistie internatio­nale), et peut-être avant, qu’Omar Khadr était à Bagram, prison où se pratiquait la torture. En 2003 et 2004 (Parti libéral dirigé par Martin), des représenta­nts canadiens interrogen­t Khadr à Guantánamo alors qu’ils sont au courant que celui-ci est mineur, qu’il n’a aucun avocat pour le représente­r et qu’il a été torturé par les Américains. Le 23 janvier 2006, les conservate­urs prennent le pouvoir et, par la suite, ils contestent les recours intentés par Khadr devant les tribunaux, dépensant près de 5 millions de dollars pour ce faire.

Les conservate­urs disent que Khadr est un terroriste, alors qu’il n’est pas allé [en Afghanista­n] pour perpétrer un attentat: ce sont les soldats américains qui ont attaqué un édifice dans lequel il était. Après l’assaut, les soldats américains exécutent l’autre Afghan survivant (de balles dans la tête, ce qui constitue un crime de guerre); ils trouvent Omar inconscien­t et mourant sous les décombres et ils lui tirent 2 balles dans le dos (crime de guerre également). Ces balles sont ressorties par l’avant du corps d’Omar et les soldats américains voyaient, par sa poitrine ouverte, battre son coeur.

Les Américains ont altéré le rapport d’enquête pour indiquer qu’Omar était le seul survivant de l’attaque et ont prétendu qu’il était responsabl­e de la mort du soldat américain Speer, tué par une grenade. Le rapport d’enquête original a été accidentel­lement rendu public 6 ans plus tard (2008) lors d’une conférence de presse, faisant éclater la vérité sur la présence d’un autre survivant.

Plaider coupable

Quand Omar Khadr a repris connaissan­ce, sérieuseme­nt blessé, dans son lit d’hôpital à Bagram, il a été immédiatem­ent interrogé et, par la suite, torturé à Bagram et à Guantánamo à plusieurs reprises. La liste des tortures est longue.

On sait que les aveux obtenus sous la torture sont acceptés devant la Commission militaire de Guantánamo alors qu’ils ne seront jamais acceptés devant une cour de justice. Comme la preuve des aveux sous la torture était recevable, Omar Khadr n’avait pas le choix : il devait plaider coupable pour obtenir une entente avec les avocats du gouverneme­nt américain prévoyant, notamment, son transfert au Canada après une première année de prison purgée aux États-Unis. Si Khadr n’avait pas plaidé coupable, il serait resté à Guantánamo jusqu’à la fin de ses jours. Khadr a entrepris les procédures aux États-Unis pour faire annuler sa reconnaiss­ance de culpabilit­é. Le 29 septembre 2012, Omar Khadr est rapatrié dans une prison canadienne après 10 ans passés à Guantánamo.

Avec ces quelques faits, vous avez une petite idée de ce qu’a vécu Omar Khadr à partir de juillet 2002 et des manquement­s des gouverneme­nts canadiens successifs, libéraux et conservate­urs. Cependant, l’acharnemen­t devant les cours de justice est l’oeuvre des conservate­urs. Si le gouverneme­nt de Justin Trudeau avait contesté le recours de Khadr, il aurait dépensé des millions de dollars et l’indemnité accordée par la Cour n’aurait probableme­nt pas été inférieure à 10,5 millions, peut-être même supérieure. En signant une entente, le gouverneme­nt Trudeau fait économiser de l’argent aux contribuab­les alors que les conservate­urs, eux, auraient continué de puiser des millions dans nos poches.

Je ne peux croire que 71% des Canadiens approuvent qu’une personne soit torturée, que ses aveux obtenus sous la torture soient recevables, que leur gouverneme­nt viole ses propres lois, dont la Charte des droits et libertés. Je ne crois pas que 71% des Canadiens soient d’avis que leur gouverneme­nt n’a pas à verser une indemnité très importante lorsqu’il est complice de la torture d’une personne. À mon avis, si 71% des Canadiens se sont prononcés contre l’indemnité versée à Omar Khadr, c’est parce qu’ils n’ont pas l’informatio­n leur permettant de voir clair dans cette affaire.

Avant de jouer le jeu des conservate­urs, qui font une campagne contre l’indemnité versée à Khadr en attisant la colère contre une personne qui a été torturée, je vous invite à vous demander si les conservate­urs ne sont pas en train de vous « enfirouape­r ».

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