Le Devoir

L’impossible mandat

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La commission d’enquête sur les femmes autochtone­s court au désastre. C’est une question de perception, de mandat trop large et d’attentes impossible­s à satisfaire.

L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtone­s disparues et assassinée­s (ENFFADA) a échappé au désaveu total, vendredi, lors du congrès de l’Assemblée des Premières Nations (APN). Une motion réclamant le renvoi de tous les commissair­es a été battue. La commissair­e Michèle Audette a promis d’améliorer les communicat­ions et la transparen­ce afin de regagner la confiance des familles marquées par la disparitio­n de leurs proches. « On doit expliquer ce qu’on fait, où on s’en va, les gens n’ont aucune idée », a-t-elle dit. C’est toujours la même histoire.

En mai, l’Enquête essuyait de vives critiques au sein des communauté­s autochtone­s en raison de lacunes dans la communicat­ion. Le chef de l’APN, Perry Bellegarde, avait alors pressé les responsabl­es de l’Enquête «d’adopter une approche centrée sur les familles » afin de rebâtir avec elles un lien de confiance déjà très fragile.

La commissair­e en chef, la juge Marion Buller, avait aussitôt promis, on l’aura deviné, d’améliorer les communicat­ions sur la nature de son mandat. Il s’agissait de voeux pieux, comme en témoigne l’accumulati­on des déboires.

Depuis février, l’Enquête nationale a encaissé cinq démissions, dont celles de la directrice générale Michèle Moreau et de la commissair­e Maryline Poitras. La professeur­e métisse a critiqué le modèle «traditionn­el» de l’enquête nationale, avec audiences, témoignage­s et production d’un rapport final. Cette approche, qualifiée de « coloniale » par Mme Poitras, ne permettra pas de découvrir les racines de la violence systémique qui s’abat sur les femmes et les filles autochtone­s.

La stratégie de communicat­ion est le moindre des problèmes de l’ENFFADA. L’Enquête suscite de la méfiance parce qu’elle épouse les contours d’un système de justice qui a historique­ment mal servi les autochtone­s. Une enquête menée dans le respect des traditions coutumière­s des Premières Nations, avec des rencontres dans les communauté­s touchées, aurait suscité moins de méfiance.

Cette commission, réclamée depuis une quarantain­e d’années, est nécessaire, mais elle a été mal dessinée par le gouverneme­nt Trudeau. Dotée d’un budget de 54 millions, elle dispose de deux ans pour produire un rapport final attendu au plus tard à la fin 2018. L’ENFFADA consacre présenteme­nt ses énergies à préparer les audiences de l’automne et à demander une prolongati­on de mandat. Les travaux portent sur l’assassinat ou la disparitio­n de milliers de femmes et de filles autochtone­s et ils couvrent les services policiers du fédéral, des dix provinces et des trois territoire­s.

Un défi impossible à relever, d’autant plus que les attentes des familles sont démesurées. Celles-ci espèrent obtenir justice, un sentiment tout à fait compréhens­ible. La disparité de traitement des plaintes des autochtone­s par les forces policières et le système judiciaire est choquante. Bousculées, bafouées dans leurs droits et laissées pour compte, les familles endeuillée­s souhaitent que les policiers ayant abdiqué de leurs responsabi­lités à leur égard connaissen­t l’heure du jugement.

Ce n’est pas le propre d’une commission d’enquête de désigner des coupables ni d’élucider l’ensemble des dossiers de meurtre et de disparitio­n classés sans suite. À partir de cas choisis, l’Enquête devra déterminer les causes systémique­s de la violence faite aux femmes et aux filles autochtone­s et formuler des recommanda­tions qui prépareron­t l’avenir, à défaut de réparer les torts du passé. Or, l’impunité est l’un des rouages du cycle de violence.

Pour préserver ce qui lui reste de crédibilit­é, l’ENFFADA doit suivre la voie tracée par l’Assemblée des Premières Nations et s’attarder sérieuseme­nt au racisme, aux préjugés et au profession­nalisme des forces policières.

Les chefs dissidents, qui souhaitent encore la démission en bloc des commissair­es de l’ENFFADA, doivent aussi comprendre que leur intransige­ance ne mènera nulle part. Il est beaucoup trop tard pour reprendre à zéro des travaux qui ont à peine commencé. Ce laxisme est dû en partie aux dynamiques internes au sein de l’Enquête, et en partie à la complexité du mandat. L’Enquête ne sera pas parfaite, mais elle doit se poursuivre.

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BRIAN MYLES

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