Le Devoir

Israël-Palestine, à la défense d’un plus juste milieu

- MICHEL FORTMANN Professeur, Université de Montréal

En réaction au billet du professeur Pierre Beaudet (publié dans Le Devoir le 27 juillet) concernant les événements récents de Jérusalem, j’aimerais plaider ici pour une approche, non pas moins critique, mais plus équilibrée des situations, souvent ambiguës, générées par le conflit israélo-palestinie­n. Il me semble, en effet, que nous nous devons, en tant qu’universita­ires, de respecter à la fois la complexité des faits et la diversité des points de vue lorsque nous analysons des situations aussi délicates que celle qui prévaut en ce moment dans la région. Présenter un seul côté de la médaille, ce qui arrive trop souvent dans ce débat, me semble pour le moins insuf fisant.

Rappelons brièvement les faits qui ont débouché sur la présente crise. Il y a deux semaines, le 14 juillet, trois jeunes Palestinie­ns armés attaquent des policiers israéliens qui assurent la sécurité à l’entrée de l’esplanade des Mosquées. Deux policiers sont tués et les trois agresseurs abattus. Doit-on qualifier cette attaque d’opération militaire menée par des «combattant­s» ou d’action terroriste? Je laisserai au lecteur le choix des termes. Ce qui est certain, c’est que les «combattant­s» palestinie­ns, comme ils l’ont encore montré il y a quelques jours, ne font pas la différence entre un policier et un vieillard de 70 ans. En réaction à l’attaque du 14 juillet, les autorités israélienn­es installent des détecteurs de métal et des caméras aux entrées du lieu saint.

Pas de quoi fouetter un chat, me direz-vous. Nous déployons partout en Amérique du Nord et en Europe ce type d’équipement pour nous protéger du terrorisme. Dans ce cas, cependant, plus de cent mille Palestinie­ns descendron­t dans la rue durant les jours qui suivent pour protester contre ces mesures, entraînant des heurts violents avec les forces de l’ordre et causant des centaines de blessés et une dizaine de morts. Ironiqueme­nt, la crise semble se résoudre entre le 24 et le 27 juillet par une capitulati­on complète des autorités israélienn­es qui acceptent de retirer toutes les nouvelles mesures de sécurité autour de l’esplanade des Mosquées.

Zones de fractures

Le Waqf, l’organisati­on jordanienn­e qui administre l’endroit, a annoncé le 27 juillet que les fidèles pourront revenir prier à al-Aqsa. La crise est-elle en passe d’être résolue ? On peut espérer que la vague de violences va s’atténuer, mais les événements ont révélé plusieurs zones de fractures dans la situation politique, et celles-ci n’augurent rien de bon. La crise a souligné en effet la faiblesse du leadership de Mahmoud Abbas dont l’autorité est de plus en plus contestée du fait de son attentisme. Celui-ci va-t-il jouer la carte de la confrontat­ion pour démontrer qu’il est encore un acteur politique qui compte ? Son prédécesse­ur, Arafat, avait également choisi cette voie au moment de la seconde Intifada, en 20022003. Mais qu’est-ce que cela signifie sur le terrain? Allons-nous voir le fossé de haine et d’hostilité se creuser encore entre les communauté­s juive et musulmane ? Personne ne devrait le souhaiter.

Par ailleurs, les autorités israélienn­es, et particuliè­rement le premier ministre, Benjamin Nétanyahou, se sont montrées plutôt malhabiles à gérer cette crise. Les détecteurs de métal n’étaient probableme­nt pas une bonne idée, compte tenu de la sensibilit­é des musulmans à l’égard de tout ce qui concerne Haram al-Sharif. Par ailleurs, ces portiques sont insuffisan­ts pour permettre de gérer les foules qui viennent prier le vendredi, et les Services de sécurité l’ont signalé au premier ministre. Par contre, l’opinion publique israélienn­e est, en majorité, favorable à des mesures de sécurité plus strictes pour contrôler les entrées de l’esplanade des Mosquées, et les atermoieme­nts de Nétanyahou n’ont pas contribué à améliorer sa réputation. Dans la situation d’Israël, il n’est jamais bon de faire preuve d’indécision et de faiblesse, et ceci augure mal pour l’avenir.

Mon mot de la fin : une des choses qui me dérangent le plus dans les commentair­es que l’on retrouve fréquemmen­t dans les médias et sur les réseaux sociaux au sujet de Jérusalem est le fait que le haut lieu qu’est le mont du Temple se voit exclusivem­ent décrit comme un sanctuaire musulman, le «Noble Sanctuaire», alors qu’il s’agit également du lieu le plus saint du judaïsme, l’endroit où s’élevait le Temple de Jérusalem et où résidait l’Arche de l’Alliance. On devrait rappeler, de ce point de vue, que le gouverneme­nt d’Israël a laissé le contrôle du site aux musulmans et continue de limiter strictemen­t l’accès des juifs au mont du Temple. Ceux-ci d’ailleurs n’ont pas le droit d’y prier. Pourquoi n’en est-il pas question dans le billet de M. Beaudet ?

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AHMAD GHARABLI AGENCE FRANCE-PRESSE Un membre des forces de sécurité israélienn­es sur le mont du Temple

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