Le Devoir

Anticosti : Québec verse 20,5 millions à Pétrolia

- ANNABELLE CAILLOU

Le dossier sur les travaux d’exploratio­n d’hydrocarbu­res sur l’île d’Anticosti touche à sa fin: le gouverneme­nt du Québec s’est finalement entendu avec Pétrolia, dernier gros joueur sur le terrain. L’entreprise recevra une compensati­on financière de 20,5 millions en raison de l’abandon des activités sur l’île.

Le 28 juillet dernier, Québec a mis un terme au contrat qui l’obligeait à investir dans le projet d’exploratio­n pétrolière sur l’île d’Anticosti. Il avait alors conclu trois ententes avec les entreprise­s partenaire­s: Junex, Corridor Resources et Maurel & Prom. La première a reçu 5,5 millions tandis que Corridor et Maurel & Prom ont empoché 19,5 et 16,2 millions respective­ment. À l’instar de Pétrolia, ces deux dernières entreprise­s détenaient chacune 21,7% d’intérêts dans le projet.

D’après le ministère des Finances, « ces sommes ont été déterminée­s en fonction des coûts engagés [par les entreprise­s] » sur le terrain.

Selon ce qu’avait révélé Le Devoir plus tôt cette année, Pétrolia et Corridor Resources auraient réclamé initialeme­nt une somme de 200 millions pour mettre fin au contrat, soit la valeur qui aurait été accordée aux permis d’exploratio­n dans le cadre du contrat signé en 2014 par le gouverneme­nt péquiste de Pauline Marois. Ce contrat n’a cependant jamais été rendu public.

«Nous avons pris nos responsabi­lités en prenant un arrêté ministérie­l afin de soustraire l’île d’Anticosti à tous travaux d’exploratio­n et d’exploitati­on d’hydrocarbu­res », a quant à lui indiqué le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles, Pierre Arcand, par voie de communiqué.

Une décision vivement critiquée par la Coalition avenir Québec. Sa porte-parole en matière d’énergie, Chantal Soucy, estime que «les libéraux ont fait une croix sur un projet qui aurait pu créer de la richesse pour tout le Québec».

De son côté, Martine Ouellet — qui était ministre des Ressources naturelles lorsque le

gouverneme­nt Marois a décidé d’investir dans le projet Anticosti — s’est dite surprise « de voir que les contribuab­les québécois vont devoir payer 61 millions de compensati­ons à des entreprise­s pétrolière­s pour des projets qui n’ont manifestem­ent pas été rentables.» «Quand un projet n’est pas rentable, il s’éteint naturellem­ent, [sans compensati­on] », a-t-elle ajouté.

«Pétrolia n’a jamais eu de telles ressources financière­s, c’est évident qu’ils n’ont pas investi 20 millions Patrick Gonzalez, professeur au Départemen­t d’économie de l’Université Laval

Compensati­on «injustifié­e»?

Avec 20,5 millions, la société pétrolière et gazière de Québec touche ainsi le plus gros montant. Une compensati­on toutefois peu justifiée aux yeux de plusieurs experts et politicien­s.

«J’ai hâte de connaître les détails [de l’entente], ces compensati­ons m’apparaisse­nt bien élevées », affirme le porte-parole du Parti québécois en matière d’énergie et de ressources naturelles, Sylvain Rochon.

Des doutes partagés par le professeur au Départemen­t d’économie de l’Université Laval, Patrick Gonzalez, qui peine à croire que l’entreprise s’en sorte avec une telle compensati­on. « Pétrolia n’a jamais eu de telles ressources financière­s, c’est évident qu’ils n’ont pas investi 20 millions, affirme-t-il. Ils ont eu des permis d’exploitati­on pour une bouchée de pain à l’époque […] mais Pétrolia a toujours prétendu que ses permis valaient une fortune.»

Pour le professeur, cette entente vient rappeler que le gouverneme­nt Couillard a toujours voulu soutenir l’industrie et ne souhaite pas envoyer «un message anti-gaz de schiste et antipétrol­e » en mettant fin aux travaux sur l’île d’Anticosti. «Je ne serais pas surpris que l’arrangemen­t fasse en sorte que Pétrolia continue ailleurs, en Gaspésie notamment.»

Même son de cloche du côté de Marc Durand, professeur retraité du Départemen­t des sciences de la Terre et de l’atmosphère de l’Université du Québec à Montréal. Il estime que Québec a été « extrêmemen­t généreux » avec les acteurs du dossier, sachant que la majeure partie des fonds investis provient en fait de fonds publics, investis par le gouverneme­nt.

Le Devoir révélait en effet, plus tôt cette année, que Pétrolia et Corridor Resources n’ont pas eu à investir les millions de dollars nécessaire­s pour réaliser les travaux sur l’île.

Le gouverneme­nt et la société française Maurel & Prom (qui s’est retirée en cours de route) s’étaient engagés à investir les 100 premiers millions de dépenses d’exploratio­n. De ce montant, Québec a jusqu’ici investi près de 30 millions dans la société en commandite Hydrocarbu­res Anticosti.

Les 38 permis cédés par les deux entreprise­s couvrent une superficie de 6195km2 sur l’île d’Anticosti. Selon les informatio­ns fournies par le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, les entreprise­s ont déboursé, entre 2009 et 2013, un total de 310 000$ pour conserver leurs droits d’exploratio­n sur Anticosti, à raison de 10$ par kilomètre carré.

Au lancement du projet, les péquistes de Pauline Marois avaient bel et bien annoncé des investisse­ments de 115 millions, qui devaient servir à vérifier le potentiel pétrolier de l’île d’Anticosti, dont on estimait alors que le sous-sol pourrait renfermer 40 milliards de barils de pétrole de schiste. À l’époque, Québec disait espérer toucher 60% des bénéfices liés à une éventuelle exploitati­on.

Fin du dossier?

Jusqu’ici, Québec a donc remis 61,7 millions en compensati­on aux entreprise­s impliquées dans le projet, en plus des 30 millions investis dans les travaux menés sur l’île. Il doit encore conclure une dernière entente avec TransAmeri­can, pour clore le dossier définitive­ment.

Aux yeux de Julien Marcotte, porte-parole du ministre des Ressources naturelles, « le gros morceau des négociatio­ns est réglé puisque la compagnie ne détient qu’un seul permis, sur [les 38] qu’il y avait ».

Mais Québec devrait maintenant indemniser la municipali­té d’Anticosti, «principale victime de cette mésaventur­e pétrolière», croit de son côté Christian Simard, directeur de Nature Québec. Son développem­ent a «cruellemen­t été gelé par les travaux d’exploitati­on pétrolière» et il y a dorénavant un manque à gagner pour favoriser sa candidatur­e pour faire partie de la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, d'après lui.

Rappelons que les libéraux avaient indiqué vouloir «protéger et conserver le caractère naturel exceptionn­el de l’île» en mettant fin au contrat.

S’il se réjouit de la fin des travaux sur l’île d’Anticosti, Sylvain Rochon, du Parti québécois, estime pour sa part que le dossier ne sera pas clos tant qu’il existera encore des projets d’exploratio­n et d’exploitati­on pétrolière sur le territoire. «Le Québec, ce n’est pas uniquement Anticosti. Dans le reste du Québec, les libéraux ont ouvert une porte encore plus grande aux pétrolière­s », se désole-t-il.

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CLÉMENT SABOURIN AGENCE FRANCE-PRESSE Denis Duteau, ancien maire d’Anticosti, inspecte un vieux puits de forage de Pétrolia.

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